lundi, 4 mars 2013
Un « cyborg » qui entend plus que ce que nous voyons
Neil Harbisson se considère depuis 2004 comme le premier “cyborg” reconnu par un État, en l’occurrence l’Angleterre qui lui a permis d’apparaître sur la photo de son passeport avec la petite caméra portable qu’il porte en permanence au-dessus du front. Celle-ci lui permet non pas de voir les couleurs, mais de les entendre !
Harbisson est né en 1982 avec un déficit congénital visuel rare : l’achromatopsie, c’est-à-dire une incapacité à percevoir les couleurs. Ce déficit peut aussi survenir suite à une lésion cérébrale, comme le neurologue Oliver Sacks l’a rapporté dans ses ouvrages. Mais dans le cas de Harbisson, il percevait le monde en noir et blanc depuis sa naissance.
C’est à la suite de rencontres fortuites avec des gens intéressés par la cybernétique et l’informatique qu’il a contribué à mettre au point d’un dispositif permettant de transformer les différentes couleurs du spectre visible en des sons de fréquence spécifique. Et comme Harbisson vit depuis une dizaine d’années maintenant avec cette « prothèse », son cerveau a complètement associé les fréquences en question avec les noms des différentes couleurs. De sorte qu’il dit percevoir maintenant directement les couleurs sous forme sonore. Un cas spectaculaire de ce que les scientifiques appellent la substitution sensorielle.
Substitution qui n’est pas sans générer son lot de phénomènes étranges comme le relate avec humour Harbisson (voir par exemple les deux liens vers les vidéos ci-bas). Par exemple, aller voir une exposition de tableau s’apparente pour lui à aller à un concert. Les visages avec leur teint particulier génèrent une sonorité qui leur est propre. Ou encore, se promener dans les allées d’un supermarché, avec ses produits multicolores, ressemble à une incursion dans une discothèque tellement les sonorités générées sont riches et saturées !
Et comme l’association fréquence sonore – longueur d’onde d’une couleur est stable pour Harbisson, ça marche forcément aussi dans l’autre sens. Ainsi, comme Harbisson est également un artiste visuel, il peint avec des lignes de couleurs les fréquences des voix qu’il entend. Certains discours célèbres deviennent ainsi des rectangles multicolores imbriqués les uns dans les autres.
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin. La vision humaine des couleurs se limitant à une étroite fenêtre du spectre électromagnétique allant du rouge au violet, ce n’est pas le cas de la caméra de Harbisson à laquelle on a ajouté une sensibilité à l’infrarouge et à l’ultraviolet. Résultat : Harbisson « entend au-delà de ce que l’on voit » ! Ce n’est donc plus seulement de la substitution sensorielle, mais de l’augmentation sensorielle.
Du microscope au télescope, ce n’est pas d’hier qu’on tente d’élargir notre spectre sensoriel. Mais Harbisson change sans doute ici un peu la nature de cet élargissement en l’intégrant à même sa perception visuelle. Pas étonnant qu’il fasse même maintenant des rêves sonores d’objets colorés ! Après « quel effet cela fait d’être une chauve-souris ? », les philosophes pourront donc continuer de s’arracher les cheveux en se demandant maintenant « quel effet cela fait d’être un cyborg ? »…
Neil Harbisson: I listen to color
Cyborg Foundation
Niel Harbisson
Neil Harbisson Is A Cyborg Who Hears More Of The World Than We See
Achromatopsia.info
Achromatopsia
Le bricolage de l'évolution | Comments Closed