lundi, 25 février 2013
Justice et équité : nous n’avons rien inventé
De la longue liste des comportements que l’on croyait propres aux humains et que l’on a finalement reconnus chez nos cousins primates (utilisation d’outils, transmission culturelle, éléments de base de nos structures de parenté, etc.), le sens moral est, pour plusieurs, à jamais exclu. Encore que, selon les modèles économiques en vogue, cette moralité, donc ce souci des autres, serait un leurre car les gens agiraient plutôt de manière rationnelle et égoïste. Mais n’en déplaise aux chantres de l’économie de marché, les résultats de psychologie expérimentale révèlent un grand souci de justice et d’équité chez l’être humain.
Par exemple le jeu de l’ultimatum, où un sujet doit donner à une autre personne une part suffisamment grande d’une récompense qu’il a reçue pour que l’autre accepte le partage (sinon ni l’un ni l’autre ne touche la récompense), montre que les offres trop basses sont refusées et que les sujets font souvent des offres spontanément assez élevées (30 à 50%).
La morale humaine est donc sauve au grand bonheur de ceux et celles qui voudraient croire en une différence de nature des humains par rapport au reste du règne animal. Mais ce serait sans compter les primatologues qui scrutent le comportement de nos plus proches cousins et pour qui le credo est plutôt que les humains n’ont rien inventé mais seulement sophistiqué des comportements que l’on retrouve sous forme élémentaire chez d’autres espèces de primates.
L’un de ceux qui a beaucoup contribué à faire tomber « l’exception morale humaine » est certainement Frans de Wall dont les travaux portent sur les comportements pro sociaux des singes (comment ils règlent leurs conflits, se réconcilient, partagent et coopèrent). Avec des collègues, de Wall vient justement de montrer que les chimpanzés aussi font preuve de « fair play » au jeu de l’ultimatum. Du moins si la coopération du partenaire est requise. Car si l’autre ne peut pas refuser l’offre, ils se comportent plus comme des dictateurs… c’est-à-dire comme les humains dans la même situation !
L’originalité de cette expérience fut de ne pas donner directement de la nourriture comme récompense (ce qui n’avait pas donné de résultats probants par le passé), mais des jetons équivalant à un partage équitable ou non équitable des aliments ensuite reçus. Le fait que les animaux se soient montrés plus sensibles à un partage équitable cadre bien avec le haut degré de coopération que l’on observe chez un groupe de chimpanzé dans la nature. Comme chez l’humain, les chimpanzés qui trichent ou agissent de manière égoïste savent qu’ils s’exposent à des sanctions ou des rejets de leurs compatriotes dans de futures interactions. Ces normes sociales auraient un poids non négligeable dans la façon de considérer les autres lors du partage possible d’une ressource.
De toute façon, si vous ne croyez pas que le niveau de moralité des chimpanzés puisse être très élevé, rassurez-vous : une étude publiée il y a un an démontrait qu’un chimpanzé peut s’improviser médiateur dans un conflit opposant d’autres membres de son groupe sans que ce ne soit pour son bénéfice personnel direct, mais plutôt dans la perspective de maintenir stabilité et paix dans le groupe. Les policiers et les juges seront sans doute heureux d’apprendre ça…
In an uncertain world, fairness finishes first.
Chimps play fair in the ultimatum game.
Scientists find chimpanzees have a similar sense of fairness to humans
Frans de Waal: Moral behavior in animals
Frans de Waal: Primatologist
Chimpanzees have policemen, too
De la pensée au langage | Comments Closed