mardi, 29 mai 2018
Le sentiment nationaliste inversement proportionnel à la flexibilité cognitive ?
Plusieurs études ont montré par le passé comment certaines caractéristiques émotionnelles particulières pouvaient avoir des effets cognitifs à des niveaux plus élevés, jusqu’à orienter nos choix politiques. Être plus sensibles aux choses dégoûtantes est ainsi corrélé avec le fait d’avoir une posture plus conservatrice au niveau politique ou éthique. De même, être peureux de nature ou même se faire raconter ponctuellement des histoires d’horreurnous tire aussi vers le même pôle conservateur du spectre politique. Plus récemment, le phénomène inverse a même été démontré : induire un sentiment d’invincibilité avec une simple expérience de pensée nous décale cette fois-ci vers le pôle libéral (ou progressiste) du spectre politique.
Même si ces résultats sont de prime abord un peu surprenant, on peut comprendre intuitivement comment des émotions fortes comme le dégoût ou la peur peuvent avoir un effet très large sur notre psychisme. Mais qu’en est-il des processus plus neutre sur le plan émotionnel comme la catégorisation (ou l’analogie / catégorisation) et la flexibilité cognitive ?
Cette question a été considérée par un groupe de chercheurs anglais et leur étude publiée dans PNAS au début du mois de mai. Intitulée “Cognitive underpinnings of nationalistic ideology in the context of Brexit”, l’étude de Leor Zmigrod et ses collègues a voulu tester l’hypothèse que les gens ayant une idéologie nationaliste très affirmée tendraient à avoir aussi des catégories et des règles plus fermes pour tout ce qui touche à la culture nationale. Pour ce faire, ils ont soumis 332 sujets anglais à des tests de catégorisation « objectifs », c’est-à-dire le moins possible liés à des enjeux émotionnels ou politiques. Pour les psychologues dans la salle, on parle ici de « Wisconsin Card Sorting Test » et de « Remote Associates Test », de même que des témoignages à la première personne des sujets quant à leur flexibilité mentale dans des situations d’incertitude.
On a donc pu ainsi établir de façon assez fiable des profils de « flexibilité mentale » de chacun des sujets, autrement dit leur souplesse cognitive à faire des catégories dans des situations incertaines, ambigües ou complexes. Or parallèlement il y eut en 2016 en Angleterre, le référendum historique sur la sortie de l’Union Européenne, le fameux « Brexit », qui l’a emporté grâce à la vague nationaliste que l’on sait. Les chercheurs ayant eu accès aux comportements et au choix de leurs sujets lors de cet événement, ils ont pu les mettre en rapport avec les résultats des tests de catégorisation.
Ils ont ainsi pu montrer que les individus avec un fort sentiment nationaliste ont tendance à considérer le monde de manière plus catégorique, moins flexible. Et cette attitude se manifesterait concrètement en supportant davantage des idéologies autoritaires, nationalistes, conservatrices, bref des idéologies qui justifient le système en place. Et inversement, cela suggère que les gens qui ont des styles cognitifs plus flexibles sont moins enclins à endosser ce type d’idéologies.
D’où cette autre question : jusqu’à quel point ces tendances cognitives sont-elles malléables ou modifiables ? C’est toujours la grande question en ce qui concerne les « traits de personnalité », comme les appellent les psychologues. Chose certaine, plus on est jeunes, plus nos réseaux cérébraux ne se sont pas encore complètement distingués, comme on l’a vu dans le billet de la semaine dernière.
C’est donc le bon moment d’envoyer nos enfants jouer dans la ruelle avec les petit.es voisin.es d’autres cultures qui s’y trouvent de plus en plus, comme me l’avais expliqué le primatologue Bernard Chapais dans l’entrevue qu’il m’avait accordé pour le magazine Québec Science il y a près de… 25 ans déjà !
Je vous laisse donc avec cet extrait de cette rencontre mémorable :
« Bernard Chapais : Prenons le cas de l’ethnocentrisme, phénomène universel chez l’humain qui, dans certaines circonstances, peut aller jusqu’à la xénophobie et au racisme. Le premier piège consiste justement à utiliser des mots créés pour décrire des conduites humaines pour désigner des comportements semblables chez le singe. Pour éviter cette confusion, nous parlerons donc plutôt d’hostilité intergroupe, un phénomène également généralisé chez les primates. Cette méfiance survient dès que des singes d’une même espèce provenant de groupes différents se rencontrent. De plus, on a pu mettre en évidence que cette hostilité était inversement proportionnelle à la familiarité entre les membres de ces groupes distincts. Le transfert d’un individu d’un groupe à un autre, qu’on peut observer chez certaines espèces, se fait toujours progressivement et avec beaucoup de prudence.
Québec Science : En supposant qu’il y ait encore un peu de cette vieille hostilité simiesque en nous, peut-on s’en débarrasser ?
Bernard Chapais : Vous savez, il y a des comportements qui viennent de si loin d’un point de vue évolutif qu’on ne sera probablement jamais capable de s’en affranchir complètement. Mais cela ne veut pas dire que nous en sommes esclaves. Une prédisposition génétique, que ce soit pour un comportement ou pour une maladie, peut être déjouée ou contournée si on la connaît et qu’on a les outils pour le faire. Dans l’exemple qui nous intéresse, l’outil par excellence que l’humain a développé et qui fait défaut au primate, c’est le langage. Grâce au langage et à l’éducation, on peut chercher à accroître cette familiarité avec l’étranger et réduire ainsi les tensions. On dira au jeune : va jouer avec l’immigrant, essaye de le comprendre, va chez lui… »
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