lundi, 4 mars 2024
Promotion de la marche et compréhension des « biais cognitifs » : deux exemples où mon livre pourrait être utile
Je vous signale cette semaine deux articles parus dans le journal La Presse dont deux personnes m’ont envoyés les liens pour me demander ce que j’en pensais (merci Gilles et Robert !). Le premier, paru le 25 février dernier, s’intitule « Pour une révolution par la marche » et est fort intéressant, nécessaire je dirais même. L’autre, publié ce matin, s’intitule « Biais cognitifs. Comme des lunettes déformantes », m’a énervé parce qu’il véhicule une conception de nous-même avec laquelle je suis en désaccord. Donc un mot d’abord sur les fleurs, puis sur le pot.
Ce qui m’a le plus fait plaisir dans le premier article, ce n’est pas tant qu’on réitère les bienfaits de l’exercice sur le cerveau et le corps, mais qu’on mette en parallèle ces effets puissants et mille fois confirmés par la science avec le peu de cas qu’en font nos instances en santé publique et nos gouvernements. Leur négligence de faire une promotion digne de ce nom de ce moyen simple et gratuit d’augmenter de manière considérable ses chances de demeurer en santé m’a toujours à la fois consterné et enragé. Quand on sait par exemple qu’une simple marche dans la nature peut diminuer substantiellement le taux de nos hormones de stress et nos processus inflammatoires, on ne peut que rager chaque fois qu’un habitat naturel est détruit pour construire une usine ou qu’on charge tellement cher pour rentre dans un parc provincial que le ski de fond est rendu carrément un sport de riche !
Quelques extraits pour vous donner le goût d’aller le lire :
« Les chercheurs en sont convaincus : pour être en santé, les Québécois devraient marcher davantage. Pourtant le gouvernement québécois démontre très peu d’ambition pour ce mode de déplacement doux. Le Québec est mûr pour une révolution par les pieds, estiment des experts joints par La Presse, qui y voient une manière de prévenir une panoplie de maladies liées à la sédentarité. Mais comment y arriver ?
« On n’a pas besoin d’être un athlète pour avoir des bénéfices. Il suffit de marcher. Pas besoin de faire un marathon ou un Ironman, surtout si vous vous considérez comme trop vieux ou pas assez en forme pour courir. Allez marcher. Ça va être bon pour votre corps et votre cerveau. »
L’homme qui parle ainsi au bout du fil est Arthur Kramer, directeur du Centre pour la santé cognitive et du cerveau de la Northeastern University, à Boston. Il sait de quoi il parle. Il a consacré sa carrière à ces questions. […]
Au bout du compte, dans toutes ces études, on montre que la marche, et surtout la marche soutenue, peut améliorer la santé cardiorespiratoire, mais aussi la mémoire, le raisonnement, la solution de problèmes, l’attention. […]
Dans son plan d’action en transport actif 2018-2023, le ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD) constate que la part modale de la marche dans tous les déplacements « connaît une régression depuis 10 ans ». Quelle cible se donne-t-il ? Il souhaite maintenir la part modale de la marche. En d’autres mots, Québec espère simplement stopper l’hémorragie.
« On se désole que la majorité de l’énergie de la Politique de mobilité durable ait été mise sur l’électrification des transports, on a laissé un peu de côté les efforts pour transférer vers des modes actifs et collectifs », avance Sandrine Cabana-Degani, directrice de Piétons Québec. »
L’autre article m’a un peu découragé parce qu’il véhicule cette vision de ce qu’on appelle nos « biais cognitifs » comme des défauts, voir des tares contre lesquelles il faut partir en guerre pour les éradiquer de notre cerveau. Alors que ces manifestations cognitives sont une véritable fenêtre pour une meilleure compréhension de nous-même. Et pour ça, il faut se replacer dans une perspective évolutive, la seule façon de comprendre véritablement tout être vivant. Ah bien sûr, on le mentionne dans l’article, en quelques lignes, comme d’habitude, sans en voir toute la richesse explicative, et en s’empressant de revenir à l’ennemi à abattre ! Car cet ennemi, tapi au fond de nous, nous empêcherait de voir les choses « objectivement », il fausserait et déformerait « la réalité », celle dont notre système nerveux aurait la tâche de nous représenter intérieurement comme un miroir de ce monde objectif. On ne peut pas être plus loin, à mon avis, de la compréhension actuelle que les quinze ou vingt dernières années de recherche en sciences cognitives nous ont appris sur l’essence du fonctionnement de notre cerveau.
Cette nature profonde, loin d’être un réceptacle passif des stimuli en provenance de l’environnement, est plutôt celle d’une machine à prédiction, qui projette à tout moment sur le monde les modèles internes qu’il s’est fait du monde suite à sa longue histoire évolutive et développementale. Ce faisant, qu’il « biaise » la « réalité » est donc plutôt sa fonction première. Il devient alors plus juste de constater qu’il simule ou construit plutôt constamment UN monde, celui de la personne qui possède ce cerveau. Ce monde de sens particulier est ce qui permet à cette personne d’avoir une adéquation suffisante avec le réel pour demeurer dans cette fenêtre de valeurs physiologiques compatible avec ce qu’on appelle la vie.
Mais bien sûr, les humains, on parle. Et sans rappeler non plus ce que le langage nous permet de créer un monde symbolique commun et consensuel, on peut vite tomber dans cette vision manichéenne des choses où on pourrait être potentiellement parfaitement rationnel parce qu’en accord avec une réalité extérieure prédonnée, ou bien « biaisé » par tous ces raccourcis implicites qui nous empoisonneraient la vie, mais qui, on le reconnait encore une fois trop vite dans l’article, nous aident quand même un peu à prendre les centaines de décisions automatiques et rapide qu’on a à prendre chaque jours. Pour un ennemi juré, je trouve qu’il a quand même certaines qualités… La tortue de nos raisonnements plus lents et fastidieux peut bien sûr parfois nous être aussi utile, mais c’est le lièvre de nos réponses automatiques qui nous sert le plus souvent.
Bon, pardonnez-moi cette petite montée de lait à chaud un peu tout croche. Je dois arrêter ici pour aller justement compléter la relecture finale de mon livre (et de sa forme particulière) où tant les bienfaits de l’exercice qu’une compréhension plus profonde des « biais cognitifs » sont mis de l’avant, enfin je l’espère, en parallèle avec ces grands changements de paradigme des sciences cognitives contemporaines qui appellent à revoir rien de moins que notre rapport au réel. C’est pas facile à résumer ou à aborder dans un article de journal, j’en conviens, et je respecte le travail des personnes citées dans l’article. Mais ça me conforte dans la longue mais à mon sens essentielle démarche que je propose dans mon livre.
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