lundi, 2 octobre 2023
Journal de bord de notre cerveau à tous les niveaux : pourquoi la vie existe ?
La chaîne scientifique Youtube Veritasium a publié il y a quelques mois une vidéo fort éclairante sur “The Most Misunderstood Concept in Physics”. Ce concept le plus mal compris en physique étant celui de l’entropie, et comme j’insiste beaucoup là-dessus au début de mon livre en cours de révision, je vous recommande l’écoute de cette petite demi-heure très pédagogique dont je résume quelques éléments clés ici dans ce « journal de bord » de l’avancement de mon bouquin.
Si j’insiste tant sur la notion d’entropie, c’est qu’elle est fondamentale pour comprendre ce qu’est la vie. Car après le premier principe de la thermodynamique qui dit que lors de toute transformation, l’énergie se conserve, il y a le second principe qui lui affirme que l’entropie globale dans un système a inéluctablement tendance à augmenter. L’entropie pouvant être assimilée à la notion courante de désordre, cela pose problème au niveau des êtres vivants qui possèdent, on le sait, une structure hyper-organisée. Comment cela est-il possible considérant le second principe de la thermodynamique ?
Simplement parce que, en s’organisant ainsi (ou en créant de l’ordre, ou de la néguentropie comme on dit aussi), les êtres vivants dissipent en même temps constamment de l’énergie. Autrement dit, ils créent du désordre, et dans une proportion supérieure au maintien de leur organisation ordonnée, satisfaisant ainsi au second principe de la thermodynamique.
Pour bien comprendre ce qui se passe, le vidéo de Véritasium donne l’exemple du café auquel on ajoute un peu de lait. Au début, l’entropie de ce système est basse, car le lait concentré dans son contenant et le café situé dans la tasse sont séparés, donc très ordonnés car il est très peu probable qu’une telle séparation ait pu se faire naturellement. On peut donc dire aussi qu’il y a peu de complexité dans ce système, le lait étant à un endroit, le café à un autre, et c’est tout. Mais quand on verse le lait dans le café, cela crée d’abord une volute de lait qui se déploie dans le café, formant une belle structure complexe qui se replie sur elle-même, tournoie, fait des embranchements, etc. Au bout d’un moment cependant, quand le lait et le café ont fini de se mélanger, ces structures complexes disparaissent pour ne laisser qu’un café à l’allure à nouveau uniforme, quoique d’un brun un peu plus pâle : les molécules de lait se sont complètement dispersées entre les molécules de café et l’on peut dire alors que le système possède une bien plus grande entropie et une bien moindre complexité.
La même tendance sera aussi à l’œuvre si l’on ne boit pas tout de suite le café chaud. La chaleur concentrée dans l’agitation élevée des molécules dans la tasse augmentera progressivement celle de la pièce où se trouve la tasse, perdant ainsi elles-mêmes plusieurs degrés. Et au bout d’un moment, la pièce sera légèrement plus chaude, et le café beaucoup plus froid. Les deux finiront ainsi à la même température, l’écart entre les deux s’étant complètement aplani. Et donc encore une fois, l’ordre improbable de l’écart entre les deux températures du début est devenu le désordre d’une même agitation moléculaire pour l’ensemble des molécules du système qui a alors plus d’entropie.
Cette tendance naturelle des systèmes physiques à se réorganiser pour augmenter l’entropie se retrouve donc aussi chez tout être vivant qui crée pour ainsi dire de l’ordre localement, en maintenant son organisation complexe et improbable d’être vivant, mais au prix d’une dégradation et d’une dissipation d’énergie encore plus grande dans le monde extérieur. Car tout être vivant est un système « ouvert » du point de vue thermodynamique, c’est-à-dire bien concrètement qu’il doit constamment absorber de l’énergie pour se nourrir et rejeter des déchets. Cette énergie, les plantes peuvent l’absorber directement des photons solaires très énergétiques qui nous viennent du Soleil, et les animaux la prennent dans des molécules chimiques contenant de l’énergie ayant déjà été fabriquées par des plantes ou d’autres animaux. C’est en cela qu’ils constituent ce que certains appellent des « structures dissipatives ».
Et certains de ces scientifiques, comme Jeremy England, vont même plus loin en proposant une nouvelle physique de la vie. En clair, England propose une réponse à la question : pourquoi la vie existe ? Pour lui, si dans l’univers tout se passe pour que l’entropie soit croissante, la vie pourrait bien être quelque chose qui émerge pour accélérer ce processus puisque tout être vivant est, comme on vient de le dire, une formidable structure dissipative, donc créatrice d’entropie. England s’appuie sur plusieurs développements mathématiques pour montrer que lorsqu’un groupe d’atomes est entraîné par une source d’énergie externe (comme le soleil ou des carburants chimiques) et entouré par un bain de chaleur (comme l’océan ou l’atmosphère), il se restructure progressivement afin de dissiper de plus en plus d’énergie. Pour reprendre sa formule un peu plus provocatrice : si vous éclairez une gang d’atomes avec des photons énergétiques pendant assez longtemps, vous pourriez bien vous ramasser avec une plante…
Cela pourrait signifier que dans certaines conditions, la matière pourrait acquérir inexorablement les attributs physiques associés à la vie. Et expliquer pourquoi notre planète qui regorge de vie reçoit en permanence des photons hautement énergétiques qu’elle et les organismes vivants qu’elle abrite dissipent en produisant plus de photons (environ 20 fois plus) mais dont chacun est beaucoup moins énergétiques que ceux reçus du Soleil, car diffusés sous forme de chaleur dans le spectre de l’infrarouge, par exemple.
Comme si ces idées n’étaient pas déjà assez étonnantes, la vidéo évoque aussi la possibilité que l’évolution de la complexité dans l’univers en entier formerait ainsi une sorte de courbe un « U » inversé (comme dans l’exemple du café dans lequel on verse du lait) : la complexité est minimale dans les très basse entropie (près du Big Bang, la gravité n’ayant pas encore agit beaucoup) et dans les hautes entropies (le futur de l’univers, où tout est également réparti mais désordonné), mais atteindrait son maximum entre les deux. Avec localement, comme dans la structure dissipative d’un être vivant, des pics de complexité (et donc d’ordre ou de basse entropie) qui défient l’entendement. Le système corps-cerveau des êtres humains en étant sans doute l’exemple le plus complexe de l’univers connu…
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