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lundi, 13 février 2023
Journal de bord de notre cerveau à tous les niveaux : différents modèles de l’encodage et du rappel de nos souvenirs

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Étant toujours dans la phase de relecture finale de mon livre jusqu’à la fin du printemps, je continue son « journal de bord » en y publiant certains encadrés qui n’ont pu, faute d’espace, trouver leur place dans le bouquin. Celui-ci entretenant déjà des rapports étroits avec le site web Le cerveau à tous les niveaux et son blogue grâce à différents renvois, cette conversion ne fait donc qu’étendre une approche déjà présente depuis le début du projet. Je poursuis donc aujourd’hui le « nettoyage » du chapitre 4 avec un grand encadré qui devait clore le chapitre et qui porte sur différents modèles de l’encodage et du rappel de nos souvenirs. Les rôles respectifs de l’hippocampe et du cortex y sont encore grandement débattus. Et chacune de ces modèles essaie de rendre compte des nombreuses données recueillies par différentes disciplines sur ce phénomène complexe.

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 Il y a d’abord ce qu’on appelle le modèle standard de la consolidation, déjà bien formulé au milieu des années 1990. Selon ce modèle, l’hippocampe joue un rôle actif de liaison entre différentes régions corticales impliquées dans l’encodage des différentes modalités sensori-motrices d’une expérience. C’est ce qu’ils appellent le stade dépendant de l’hippocampe, ou celui-ci « enseigne » le souvenir au cortex, si l’on veut. Avec le temps, les engrammes corticaux deviennent ainsi de plus en plus stables et finissent par être capables d’évoquer à eux seul un souvenir. Et à chaque fois qu’il va être évoqué, un souvenir va reconsolider ces engrammes corticaux, de sorte que les souvenirs finissent par être transférés au cortex. C’est ce qui aurait permis, par exemple, au patient H.M. d’avoir accès à ses vieux souvenirs de plusieurs années, voire décennies, alors qu’il n’avait plus d’hippocampes. Ce modèle n’accorde donc à l’hippocampe qu’un rôle transitoire dans l’encodage et le rappel, rôle facilité par la grande rapidité avec laquelle ses neurones peuvent modifier l’efficacité de leurs synapses. Il ne fait pas non plus de distinction entre la mémoire épisodique et sémantique.

La théorie des traces multiples veut quant à elle tenir compte de ce qui est perçu comme des limites du modèle standard. La grosse différence c’est qu’elle propose des mécanismes distincts pour l’encodage et le rappel des souvenirs épisodiques et sémantiques. Ici, on postule que l’hippocampe sera toujours nécessaire pour le rappel d’un souvenir épisodique, et ce, contrairement à la théorie standard, peu importe l’âge de ce souvenir. Pour les souvenirs sémantiques, l’approche est plus nuancée et se rapproche plus du modèle standard dans le sens où une consolidation a lieu dans le cortex, ce qui amènerait une certaine autonomie envers l’hippocampe. Mais à chaque fois qu’un tel souvenir est réactivé dans le cortex, il continuerait d’activer certains neurones de l’hippocampe qui ne sont pas nécessairement les mêmes que lors de l’encodage premier de ce souvenir. Ces neurones dispersés dans l’hippocampe constitueraient autant d’indices ou « d’index » de ces souvenirs.

Ce concept d’index n’est pas nouveau et remonte avant même la théorie standard de la consolidation, vers le milieu des années 1980. C’est l’idée que l’hippocampe ne contient pas le souvenir comme tel, mais qu’elle permet d’en retrouver la trace dans le cortex. Un peu comme quand on fait une recherche sur Internet. Les moteurs de recherche ont répertorié de vastes pans de ce qui s’y trouve et utilisent les mots que l’on tape comme des indices pour retrouver le contenu le plus approprié, tout en étant sensible au contexte, c’est-à-dire à nos recherches antérieures, notre localisation géographique, nos habitudes de consommation, etc. L’indexation de nos souvenirs à travers certains neurones de l’hippocampe ne ferait pas autre chose, mais en retrouvant des souvenirs dans la vastitude de notre cortex au lieu de sites web dans celle d’Internet. Leur activation permettrait de réétablir les liens avec les engrammes corticaux correspondant. C’est ainsi que l’hippocampe pourrait continuer à jouer un rôle facilitateur dans le rappel de nos souvenirs, même sémantique, à plus forte raison quand l’utilisation fréquente de mots ou de concepts a créé d’innombrables index dans l’hippocampe. La présence de ces indices neuronaux dispersés dans l’hippocampe s’accorde aussi avec plusieurs données empiriques dont on a déjà parlé ici comme les « concept cells ».

D’autres modèles, comme la théorie des traces compétitives, en sont venues à considérer la distinction entre souvenirs épisodiques et sémantiques comme trop tranchée et simpliste. Ils envisagent plutôt la fonction de l’hippocampe, quand on se rappelle de quelque chose, comme en étant une de « recontextualisation ». Chaque fois qu’on se rappelle un souvenir, l’hippocampe le réencoderait dans le cortex de manière similaire mais non identique. Avec le temps, le rappel répété d’un souvenir dans différents contextes produit entre les engrammes corticaux correspondant une « interférence compétitive », phénomène qui va solidifier à la longue ce qui constitue le cœur de cet engramme au détriment de ses régions plus variables. Autrement dit, augmenter la teneur conceptuelle du souvenir en effaçant progressivement les détails contextuels. Et en faire par le fait même de plus en plus une connaissance sémantique et de moins en moins un souvenir épisodique. Il y a donc ici un continuum entre les deux types de mémoire, la reconsolidation répétée au fil du temps faisant pencher la balance de plus en plus vers une représentation plus sémantique. Cela veut dire aussi que les détails exacts d’un souvenir épisodique ne seront vraiment accessibles que pour un souvenir récent. À moins d’être atteint du « syndrome hyperthymésique », mais ça c’est une autre histoire…  Normalement, pour un souvenir lointain, les détails originaux risquent fort d’avoir été recontextualisés par les multiples rappels.

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