lundi, 18 janvier 2021
Une devinette sur la mémoire humaine
La semaine dernière, je rappelais qu’on ne dit jamais assez à quel point notre cerveau est plastique, que l’on peut durant toute notre vie renforcer nos synapses qui forment l’engramme de nos apprentissages. Et que cette conception des choses amène une meilleure attitude devant les difficultés d’apprentissage et les erreurs puisqu’elles deviennent alors autant d’occasions d’améliorer nos conceptions et nos idées sur le monde. Or il y a une petite devinette que j’aime poser lorsque je fais des présentations sur la plasticité neuronale et la mémoire humaine. Je crois ne jamais avoir eu l’occasion de la faire sur ce blogue, alors je vous la propose cette semaine.
À quoi associez-vous votre mémoire parmi les 4 choix suivant : 1) à une immense bibliothèque où sont rangés tous nos souvenirs ? 2) à un disque dur d’ordinateur où les données sont stockées en code binaire avec des 0 et des 1 ? 3) à une commode avec plein de tiroirs qui renferment autant de souvenirs ? 4) Au jeu du téléphone arabe où l’on se chuchote une phrase qui finit par être déformée après plusieurs personnes ?
Les habitué.es de ce blogue auront tôt fait d’éliminer l’analogie informatique dont j’ai montré maintes fois les limites (quoique, rien n’est jamais simple…). Et je suis toujours surpris de voir comment, malgré les explications sur la plasticité synaptique qui précèdent en général cette question, les gens sont quand même souvent enclins à voir leurs souvenirs comme quelque chose de stocké sur les rayons d’une bibliothèque ou dans les tiroirs d’une commode. Parce que même si ça peut sembler une peu étrange à première vue, la meilleure analogie des 4 est bien celle du jeu du téléphone arabe.
En effet, notre mémoire ne peut pas fonctionner comme les trois premiers parce qu’ils sous-entendent tous qu’on va retrouver nos souvenirs tels qu’on les a encodés. Mais, on le sait, ça ne fonctionne pas comme ça. Quand de l’activité nerveuse réactive une assemblée de neurone correspondant à un souvenir, ces neurones ont de très bonnes chances de ne plus être exactement les mêmes à cause de leur plasticité ou de leur implication probable dans d’autres engrammes qui vont les avoir modifiées entretemps. C’est pour ça qu’on dit que quand on se souvient de quelque chose, c’est forcément une reconstruction. Ou une réactivation de ce qu’est devenu un engramme qui n’est plus tout à fait le même qu’au départ. Exactement comme une phrase va finir par être déformée après avoir été chuchotée entre dix ou vingt personnes.
Il y a bien sûr quand même des souvenirs qui ne changent pas avec le temps, comme le fait où l’on est né ou que 2 + 2 = 4 (quoi que ça peut dépendre de la créativité de certains comptables…). Mais c’est la même chose avec le téléphone arabe, si l’on dit juste un mot très simple, il a peu de chances d’être déformé. Mais la psychologue américaine Elizabeth Loftus nous a permis de comprendre dès le milieu des années 1970 à quel point nos souvenirs sont malléables. Elle a par exemple montré que de simples suggestions peuvent amener une personne à modifier ses souvenirs ou carrément à en créer de nouveaux. Par exemple, après avoir montré à des gens une photo d’un accident de voiture, elle cache la photo et demande aux gens de quelle couleur était la camionnette stationnée derrière la scène de l’accident. Plusieurs personnes vont alors être persuadées qu’il y avait une camionnette de telle ou telle couleur alors qu’il n’y en avait tout simplement pas sur la photo !
Ce genre d’expériences sur les faux souvenirs montrent bien que lorsqu’on se remémore un événement le moindrement riche ou complexe, on est loin de faire une sorte de lecture d’un enregistrement passé laissé tel quel à quelque part dans notre cerveau. Cela s’apparente bien davantage à une reconstruction, à une création fondée sur des indices ou des émotions, et influencé par le contexte ou les suggestions du moment. Cela permet aussi de mieux comprendre pourquoi les indices de rappel peuvent nous aider, en réactivant des engrammes voisins, à trouver ce qu’on a « sur le bout de la langue ».
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