mardi, 12 juin 2018
Une école d’été sur la sensibilité et la cognition animale
« Without consciousness the mind-body problem would be much less interesting. With consciousness it seems hopeless. » – Thomas Nagel
Quel effet ça fait d’être une chauve-souris ? C’est avec ce titre un peu déroutant que le philosophe Thomas Nagel avait voulu, dans son célèbre article de 1974 « What is it Like to Be a Bat? », montrer le caractère ineffable de la conscience subjective. Car on ne saura jamais « l’effet que ça fait » de s’orienter par écholocation comme la chauve-souris pour la simple et bonne raison que nous n’avons pas un corps et un système nerveux de chauve-souris capable de le faire ! La question du ressenti animal en général n’en demeure pas moins fort pertinente, ne serait-ce que parce qu’une espèce, la nôtre, est douée de langage et d’une méthode scientifique qui permet de faire des observations et des déductions sur les états mentaux de ses congénères humains ou non humains. Et comme cette même espèce (toujours la nôtre) domestique, exploite ou extermine des milliers d’autres espèces animales, savoir ce que ces dernières peuvent ressentir devient essentiel d’un point de vue éthique pour baliser nos actions envers elles.
C’est dans cet esprit que sera présentée du 26 juin au 6 juillet prochain la 7e école d’été de l’Institut des sciences cognitives de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ayant pour titre « Le problème des autres esprits: sensibilité et cognition animale », elle réunira durant dix jours une soixantaine de psychologues comparatifs, d’éthologues, d’évolutionnistes et de neurobiologistes cognitifs qui tentent comprendre les pensées des autres espèces animales. Ceux-ci se feront les « porte-paroles humains » (pour reprendre la belle expression du survol de l’école d’été) des éléphants, des singes, des baleines, des vaches, des cochons, des poulets, des souris, des poissons, des lézards, des homards ou des escargots pour communiquer avec des mots ce que l’on pense comprendre de leurs processus mentaux.
Les écoles d’été de l’Institut des sciences cognitives de l’UQAM, évènement toujours très relevé, ont lieu tous les deux ans depuis 2008 (plus la première édition qui avait eu lieu en 2003 sur la catégorisation). Elles abordent toujours de vastes questions comme la cognition sociale (2008), l’origine du langage (2010), l’évolution et la fonction de la conscience (2012), la science su web et de l’esprit (2014) ou le raisonnement (2016).
Cette année, l’école d’été sur la cognition animale a eu la bonne idée d’instaurer un prix d’entrée à la journée (15$) en plus du prix général pour les dix jours de l’école (150$). Elle innove aussi en proposant en soirée des workshops sur des questions plus directement reliées à l’éthique animale, que ce soit le principe de précaution, le concept de personne non humaine ou encore la complexité cognitive, émotionnelle et sociale insoupçonnée des oiseaux, et en particulier des poules. Des préoccupations qui reflètent celle de l’organisateur de l’événement, Stevan Harnad, professeur de sciences cognitives à UQÀM, McGill et à l’université de Southampton, et directeur de la revue Animal Sentience. Lancée en 2016, cette revue académique interdisciplinaire publie des études sur ce que les animaux non humains peuvent ressentir ainsi que les implications légales, éthiques ou philosophiques de ces découvertes.
Dans un souci d’ouverture vers le grand public, un événement spécial gratuit sera aussi présenté vendredi le 29 juin à 19h à l’Agora Hydro-Québec (CO-R500). Il s’agit d’une conférence de Mario Cyr sur les ours polaires. Ce plongeur et caméraman sous-marin originaire des Îles-de-la-Madeleine a acquis une notoriété mondiale en captant depuis trois décennies des images inédites de la faune sous-marine en eau froide. On lui doit entre autres les premières images sous-marines des morses, dont la découverte que ceux-ci peuvent allaiter sous l’eau. Témoin aux premières loges des perturbations de ces écosystèmes par les changements climatiques, cet excellent conteur saura sans doute soulever des questions graves sur l’avenir de notre planète (il témoigne d’ailleurs de le film récent La Terre vue du cœur, avec Hubert Reeves).
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