mardi, 17 avril 2018
Neurogenèse dans le cerveau humain adulte ? Après le récent « non », un « oui » tout aussi affirmatif !
Je l’ai toujours dit : la science offre plus de rebondissements que n’importe quelle série sur Netflix ! D’accord, il faut pour cela s’intéresser à certains aspects de ce que nous sommes qui se situent souvent à des niveaux d’organisation rarement mis en vedette dans le merveilleux monde du cinéma, mais justement c’est ce qui fait leur intérêt… 😉 C’est le cas de la neurogenèse, c’est-à-dire la naissance de nouveaux neurones dans le cerveau humain adulte, véritable énigme qui perdure depuis des décennies. En clair : y’en a-t-il ou pas ?
Durant presque tout le XXe siècle, on était sûr que non pour ce qui est de l’humain, quoi que des indices chez les autres animaux se soient accumulés dans les dernières décennies en sa faveur. Puis, au début des années 2000 la balance s’est mise à pencher du côté du oui pour l’humain aussi. Mais il y a un mois, une étude d’envergure publiée dans la revue Nature (et dont on a parlé dans ce blogue) venait remettre les pendules à l’heure en affirmant que le phénomène serait au mieux extrêmement marginal passé l’adolescence.
Or voilà qu’une autre étude, toute aussi sérieuse et bien construite, sort il y a un peu plus d’une semaine dans la revue Cell Stem Cell et affirme haut et fort avoir constaté la présence de milliers de jeunes et donc de nouveaux neurones dans le cerveau d’adultes dont l’âge allait jusqu’à 79 ans ! Qui dit vrai ?, pour évoquer encore une vieille série télé, celle-là québécoise.
Tel un bon suspense qui veut durer, on doit admettre qu’il faudra peut-être attendre une suite avant de pouvoir trancher. Mais pour évaluer un tant soit peu la situation actuelle il faut, comme souvent en science (et comme dans les contrats d’assurance…), entrer un peu dans les détails. C’est bien connu que c’est là que se cache le diable. Voici donc quelques détails des deux études brossées à grands traits (et mieux étayés ici ou encore là). Et évidemment dans les études originales dont les liens figurent ci-dessus.
La nouvelle étude menée par Maura Boldrini, de l’Université Columbia à New York, aurait comme point fort, selon des spécialistes du domaine, d’abord d’avoir pu colorer très tôt après leur décès les cerveaux des 28 sujets de l’étude âgés entre 14 et 79 ans. On parle de moins de 26 heures alors que dans l’étude d’il y a un mois, celle de Shawn Sorrells, certains cerveaux leur sont parvenus jusqu’à 48 heures après le décès des personnes. Cela pourrait avoir son importance, considérant que des études antérieures sur le rat ont suggéré que la protéine DCX peut se dégrader en quelques heures après la mort de l’animal. Or DCX est l’une des protéines exprimées par de jeunes cellules qui viennent de se diviser et qui servait de cible aux outils de marquage à base d’anticorps utilisés tant dans l’étude de Boldrini que dans celle de Sorrells. Cette dernière aurait ainsi pu manquer pas mal de neurogenèse présente dans leurs échantillons.
Autre point pour l’équipe de Boldrini : ils ont cherché dans l’ensemble de l’hippocampe, la région cérébrale suspecte numéro un pour la neurogenèse, contrairement à l’équipe de Sorrells qui s’est concentré sur certaines régions. Cela leur a d’ailleurs permis de faire des observations intéressantes, comme le fait que chez les gens âgés, la réserve de cellules souches (d’où proviennent les nouveaux neurones) était plus petite que chez les jeunes dans la partie frontale et médiane du gyrus dentelé (la partie de l’hippocampe associée à la neurogenèse). Par contre, la quantité d’un autre type de cellules souches, qui tendent vers les neurones mais n’en sont pas encore, ne semblaient pas décliner avec l’âge et se comptaient par milliers. Et même chose pour les neurones immatures dans les gyrus dentelés, les amenant donc à conclure qu’il y aurait très peu de déclin dans la neurogenèse chez l’adulte humain même âgé. Une conclusion appuyée par l’observation d’un volume de l’hippocampe qui ne semblait pas avoir diminué chez les patients âgés. Une conclusion, surtout, en complète opposition avec l’étude précédente.
Cela dit, l’équipe de Boldrini a aussi trouvé certains signes de vieillissement dans le gyrus dentelé de ces sujets âgés, notamment dans la quantité moindre de nouveaux vaisseaux sanguins irriguant cette structure.
En faveur de l’étude de Sorrells maintenant, il y avait par exemple le fait que leur échantillon de sujets comprenait plusieurs enfants en bas âge, ce qui leur donnait un point de référence pour interpréter leur coloration immunochimique chez l’adulte. Un atout que n’avait pas l’étude de Boldrini dont le plus jeune sujet avait 14 ans.
L’équipe de Sorrells a également fait des analyses additionnelles de la forme et de l’apparence des neurones marqués, notamment en les observant en microscopie électronique et en regardant l’expression de leurs gènes, et en ont conclu qu’il ne s’agissait pas de nouveaux jeunes neurones ou de cellules souches. Sorrells continue donc de penser que les nouveaux neurones identifiés par Boldrini et son équipe n’en sont pas et que si la neurogenèse existe dans le cerveau adulte, elle est extrêmement rare.
Mais pour Xinyu Zhao, une neurobiologiste de l’Université Wisconsin-Madison n’ayant participé à aucune des deux études, l’affaire est loin d’être classée. Avec les études histologiques, différents protocoles préparatoires des échantillons peuvent mener à des résultats fort différents. Elle ne porterait donc jamais de jugement final basé uniquement sur de telles techniques de coloration immunochimiques. Il faudra donc, selon elle, mettre au point des méthodes entièrement nouvelles pour traquer notre suspect numéro un. L’expression un peu clichée « plus de recherche sera nécessaire » prend ici tout son sens.
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