mardi, 13 février 2018
Gradients corticaux (bis), hypnose et intelligence artificielle
Comme je vous l’avais promis la semaine dernière, avant de vous parler de deux cours de l’UPop Montréal qui risquent fort d’intéresser les lecteurs et lectrices de ce blogue, je reviens brièvement sur cet article qui vient tout juste de paraître (janvier 2018) dans Trends in Cognitive Sciences (TICS) et qui s’intitule «Large-Scale Gradients in Human Cortical Organization».
On avait déjà décrit dans le dernier billet comment ce gradient des régions les plus unimodales du cortex (les régions sensorielles primaire) au plus multimodales (les régions plus associatives du cortex) permet de mieux comprendre l’organisation de grands réseaux fonctionnels comme le réseau du mode par défaut qui se retrouve dans le pôle le plus multimodal de ce gradient.
L’article de TICS, plus général, expose les nombreuses observations qui ont permis l’établissement de ce gradient (et d’un second entre les différentes régions sensori-motrices) et suggère qu’il s’agit d’une étape importante pour aller plus loin que les démarches traditionnelles de cartographie cérébrales. Avec le raffinement des techniques d’imagerie cérébrale, il est en effet devenu possible d’obtenir des cartes des différentes propriétés des régions cérébrales avec une précision inégalée. Cela dit, la manière dont nos fonctions cognitives élaborées émergent de la géographie complexe de ces régions cérébrales demeure encore très mal comprise. Et c’est à cette question essentielle de l’organisation générale de nos différentes aires corticales que s’attaquent les auteurs de cet article.
Le concept de gradient est donc au cœur de leur proposition. De quoi s’agit-il ? L’article rappelle d’abord différentes caractéristiques des régions cérébrales que l’on a déjà cartographiées en détail. Je vous réfère à l’article (et en particulier à sa figure 1 partiellement reproduite ci-dessus) pour les définitions de chacune, mais citons par exemple le degré de myélinisation des axones, le type de connectivité (à des régions uni ou multimodales), le caractère concret ou abstrait des représentations sémantiques, ou encore la durée des stimuli auxquels sont surtout sensibles les neurones d’une région donnée.
Or on s’est aperçu que l’on pouvait discerner un gradient dans l’organisation corticale pour chacune de ces caractéristiques. Autrement dit, les régions qui ont des caractéristiques semblables sont près l’une de l’autre. L’ensemble se répartit sur la surface du cortex, des régions qui ont le moins de cette caractéristique aux régions qui en ont le plus. Et qu’observait-on si l’on superposait tous les gradients de ces différentes caractéristiques sur l’organisation anatomique concrète du cortex, avec ses nombreux sillons et circonvolutions ? Ils s’enlignaient fortement dans la même direction !
Voilà qui nous en dit pas mal plus que les traditionnelles étiquettes fonctionnelles que l’on tente d’accoler à des zones corticales dont la disposition spatiale est souvent bien déroutante. Car au lieu de vouloir dresser une cartographie sur des repères fonctionnels ou anatomiques classiques (l’axe rostro-caudal, par exemple), on met en évidence ici un carte aux repères intrinsèques à l’organisation cytoarchitecturale elle-même (et par conséquent plus proche du développement et de l’expression des gènes qui a mené à cette architecture cellulaire particulière). Un peu, peut-être, comme lorsque vous découvrez l’arbre généalogique de votre famille pour la première fois…
La position d’une aire particulière n’apparaît donc plus aléatoire sur la surface corticale, mais semble plutôt découler d’une logique développementale intrinsèque sur laquelle les deux principaux gradients décrits ici jettent un éclairage nouveau. D’autres tentatives avaient déjà été faites en ce sens, et d’autres suivront sans doute cette nouvelle voie prometteuse. Mais déjà on a là l’esquisse de quelque chose qui pourrait nous mener enfin un peu plus loin que les tentatives répétées d’associer des fonctions à des régions ou des réseaux, pour expliquer comment nos capacités cognitives peuvent émerger de l’arrangement particulier de ce « patchwork » complexe de zones corticales aux caractéristiques variées.
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La session d’hiver 2018 de l’UPop Montréal est donc lancée et j’attire votre attention d’abord sur le cours qui sera donné par Mathieu et Michel Landry sur l’hypnose (c’est d’ailleurs Mathieu qui m’avait envoyé ces deux articles sur les gradients cérébraux !). L’un fait de la recherche fondamentale à McGill sur l’hypnose (Mathieu), l’autre est psychologue clinicien président sortant (2005-2015) de la Société québécoise d’hypnose (SQH). Ensemble, ils vont vous amener au-delà des mythes et du folklore à propos des fascinants phénomènes hypnotiques.
L’autre cours porte sur un sujet on ne peut plus d’actualité : la nouvelle vague d’intelligence artificielle portée par l’apprentissage machine. Et en particulier « l’apprentissage profond » (ou « deep learning », en anglais) responsable de tant d’applications qui ont des répercussions directes dans nos vies (reconnaissances visuelle sur Internet, reconnaissance vocale sur les téléphones intelligents, meilleure traducteurs automatiques, bientôt les voitures autonomes, et j’en passe). C’est donc avec une équipe de professeur.es proches de Joshua Bengio (nommé « scientifique de l’année » il y a deux semaines par Radio-Canada) que l’UPop vous invite à venir comprendre la différence entre ces réseaux de neurones virtuels et nos véritables neurones. Et pour cela, j’aurai le privilège de jouer le neurobiologiste de service pour un petit bout de la deuxième séance !
Au coeur de la mémoire | Comments Closed