lundi, 8 mai 2017
L’épigénétique, une avancée récente abordée à « L’école des profs »
« Les traumatismes vécus par les parents ou les grands-parents laissent-ils une trace à leur descendance ? » Voilà une question accrocheuse pour présenter les travaux en épigénétique d’Isabelle Mansuy dont il sera question un peu plus bas dans ce billet.
Mais c’est aussi l’un des nombreux sujets possibles abordés durant mes « écoles de profs », ces formations en sciences cognitives que j’ai montées pour les professeur.es de cégep qui enseignent à temps plein et n’ont pas toujours le temps de se tenir au courant des développements scientifiques récents dans ce vaste domaine.
À titre d’exemple de ces avancées récentes qui soulèvent bien des questions philosophiques et épistémologiques, outre l’épigénétique dont on parlera à la fin de ce billet, mentionnons d’abord les grands thèmes relatifs à la relation cerveau-corps-environnement abordés lors de mes trois récents cours à l’UPop Montréal (concept de réutilisation neuronale, de coalition d’assemblées de neurones, liens entre systèmes endocrinien, immunitaire et nerveux, tournant vers les représentations pragmatiques, les affordances, l’approche du «predictive processing» qui envahit tous les aspects des sciences cognitives, etc.).
Ces mêmes sujets, et bien d’autres, ont aussi été abordés durant les 14 séances du cours que j’ai donné à l’UQAM l’automne dernier et dont vous pouvez (si vous êtes zélé.es…) relire toutes les présentations Power Point mises en pdf sur la page École des profs. Et bien sûr, sur cette même page, vous avez aussi accès à la douzaine d’écoles de profs donnée depuis maintenant 3 ans.
Comme je l’écrivais ici en janvier dernier…
De deux heures à deux jours, ces cours à « géométrie variable » peuvent mettre l’accent tant sur les aspects neurobiologiques que psychologiques des sciences cognitives, mais avec toujours en toile de fond une perspective évolutive.
…et en mars 2016 :
Que vous soyez une dizaine ou une trentaine, du même département ou de disciplines variées (ce qui ajoute souvent à la richesse des échanges), n’hésitez pas à me contacter pour discuter de vos besoins. Il me fera plaisir de créer pour vous des présentations sur mesure à partir du travail de recherche continuel que je suis appelé à faire pour les billets hebdomadaires de ce blogue (depuis plus de 6 ans).
Merci, donc, de signaler cette offre à toute personne susceptible d’être intéressée, que ce soit pour les semaines à venir, en fin d’été ou durant la session d’automne qui vient.
* * *
Peut-on souffrir, donc, des tragédies vécues par nos ancêtres ? C’est par une conférence intitulée « Traumatismes en héritage » que la neurogénéticienne Isabelle Mansuy a tenté récemment de répondre à cette question. Présentant de manière claire et accessible les résultats de plus d’une décennie de ses recherches, Mansuy en arrive, comme la plupart des gens qui travaillent en épigénétique aujourd’hui, à penser qu’il est fort probable que la réponse à cette question, même chez l’être humain, soit oui…
Car nombre de travaux similaires sur la souris ont vu leurs conclusions être par la suite confirmées chez l’humain. Et ce qu’elle démontre avec ce modèle animal, c’est une transmission intergénérationnelle d’altérations diverses du comportement dues au stress subi par des individus en bas âge (correspondant à une période de la petite enfance à l’adolescence chez l’humain). Des problèmes correspondant chez nous aux personnalités borderlines, aux dépressions, à des troubles cognitifs liés à la mémoire ou à des changements dans le métabolisme du glucose (et jusqu’au diabète) ont tous été observés non seulement chez ces souris une fois devenue adultes, mais également chez leur progéniture, et chez la progéniture de cette progéniture !
Mansuy, en bonne pédagogue, rappelle que pour que des changements puissent se transmettre d’une génération à une autre, il faut que les cellules germinales, c’est-à-dire les gamètes (ovules pour les femelles, spermatozoïdes pour les mâles), aient subi des modifications de leur matériel génétique (la molécule d’ADN). Se concentrant sur les spermatozoïdes pour des raisons techniques, elle rappelle aussi que le stress subi en bas âge, en plus d’affecter les cellules somatique (non germinales) de l’individu (incluant ses neurones, vu les effets comportementaux observés) vont influencer aussi l’ADN de leurs spermatozoïdes, ce qui explique l’effet transmis à leur descendance. Mais l’observation encore plus surprenante est que ces modifications demeurent chez cette progéniture au point d’être intégrées à leurs propres spermatozoïdes et ainsi affecter la 3e génération !
Et l’intérêt des travaux de Mansuy et de son équipe a été de confirmer le rôle de certaines modifications moléculaires que subit l’ADN lors de ce phénomène. Sans entrer trop dans les détails biochimiques, rappelons tout de même que lorsqu’on parle de modifications épigénétiques, le préfixe «épi» renvoie à l’idée que les modifications en questions n’affectent pas directement l’ordre des bases nucléiques qui détermine tel ou tel gène (autrement, on parlerait de mutation génétique). Ce sont plutôt de petits groupements chimiques qui, en se fixant sur l’ADN (ou sur les histones, les protéines servant à compacter la très longue chaîne d’ADN dans chacune de nos cellules (voir l’image en haut de ce billet)), vont permettre à ce gène de «s’exprimer» plus ou moins facilement (c’est-à-dire de produire la protéine dont il est responsable).
Les travaux de Mansuy ont donc montré le rôle essentiel de trois mécanismes épigénétiques distincts dans cette transmission intergénérationnelle, soit 1) la méthylation de l’ADN (qui ralentit l’expression du gène); 2) des modifications biochimiques semblables sur les protéines histones (qui ont plutôt tendance à favoriser l’expression du gène); et 3) un mécanisme découvert plus récemment, les ARN non-codants qui diffusent dans le cytoplasme de la cellule.
Tous ces mécanismes moléculaires complexes se seraient mis en place, pensent les scientifiques, parce qu’ils offrent au fond aux organismes vivants une façon de s’adapter temporairement (sur quelques générations) à des modifications parfois hostiles de leur environnement (on pense à des pics de prédateurs ou à des famines). Comme le fait d’ailleurs remarquer Isabelle Mansuy à la fin de son exposé, il demeure difficile d’établir si ces changements de comportement induits par des stress (aux conséquences négatives pour les êtres humains d’aujourd’hui) n’ont pas pu avoir il y a longtemps des effets globaux positifs pour la survie en milieu naturel. Et c’est pourquoi ils seraient là, et pourquoi on a intérêt à les comprendre puisqu’ils sont encore présents en nous. Et que leurs effets s’ajoutent à toutes les susceptibilités génétiques classiques dont on est loin également de comprendre toute la complexité.
Le corps en mouvement | Comments Closed