mardi, 24 mai 2016
La métaphore cerveau / ordinateur : « petite » controverse récente…
Ceci n’est pas un billet de blogue. C’est plutôt une tentative de justification de l’absence de billet qui s’est transformée en leçon d’humilité sur la complexité des débats en sciences cognitives. Explications (évidemment).
Tout cela a commencé par la rébellion des Patriotes au Québec en 1837-38… 😉 En effet, pour nos lecteurs et lectrices de la francophonie hors Québec, c’était hier jour férié au Québec pour commémorer ces événements tragiques. C’était aussi l’une des premières belles journées de ce printemps tardif et j’ai décidé de mettre en pratique quelques conseils exprimés sur ce blogue ici ou là et d’aller faire de la marche en montagne et du vélo avec fiston.
Voilà donc pourquoi il n’y avait pas eu de billet lundi. Et puis ce matin je me suis dit : « Je vais faire un billet vraiement court sur un sujet facile qui ne me prendra qu’une partie de mon avant-midi ». Je dois en effet consacrer toutes mes journées d’ici au 1er juin à la préparation d’une grosse formation d’une journée que je dois donner aux professeur.es du cégep de Valleyfield. Cet établissement va en effet offrir dès l’automne prochain le premier profil en sciences cognitives au niveau collégial au Québec (voir le premier lien ci-dessous).
Or ayant commencé à lire la veille un article démontant la métaphore cerveau / ordinateur, j’ai pensé qu’un billet là-dessus serait assez vite réglé, les principales différences pouvant être comprises assez simplement. « Epic fail », comme dirait le fiston en question en phase avec les expressions virales de son temps.
C’est que le texte que le psychologue Robert Epstein a publié la semaine dernière sur le site web Aeon affirmant que notre cerveau n’est pas un ordinateur a suscité dans les jours qui ont suivi une avalanche de répliques et de commentaires pour le moins très critiques de son essai. Epstein a eu beau rappeler d’entrée de jeu dans son article que de tout temps, la technologie la plus avancée d’une époque a servi de métaphore à l’outil qui nous permet de penser (système hydraulique, automate mécanique, télégraphe et, inévitablement à partir du milieu du XXe siècle, ordinateur), il semble que l’ordinateur comme modèle de ce qui se passe dans notre cerveau ait encore de féroces défenseurs (voir les 3 derniers liens ci-dessous, du plus modéré au plus enragé !). Ou plutôt le type d’opération qu’accomplit un ordinateur et que les gens en intelligence artificielle appellent des « computations ». Car s’il y a une chose que j’ai retenue de ce débat, c’est bien l’importance de définir les termes dont on parle, surtout quand on provient de différentes disciplines.
Comme je vous le disais, je n’aurai pas le temps d’écrire de billet aujourd’hui… C’est pour ça que je vais continuer (!) en vous citant simplement ce passage qui permet un tout petit peu de commencer à comprendre pourquoi ce débat a éclaté si vivement, à savoir le sens équivoque que les deux parties peuvent donner à des mots comme « ordinateur » ou à des expressions comme « traitement de l’information »:
« The author often points to differences between us and actual computers. No one who employs the information processing metaphor is (should be?) claiming that we are *identical* to human-made computers. Rather, the claim is that there’s some abstract sense of ‘information processing’ under which both human brains and computers are implementations. In order for both of those things to be implementations, they need not do so with the exact same kinds of mechanisms, nor must they have the exact same kinds of abilities. (This is why I find the discussion of the dollar drawing case so strange – no one is claiming that we store visual representations of objects in the way that an actual human-made computer does.) »
Comme le souligne Jackson Kernion ici (désolé pour l’absence de traduction), tout dépend du niveau d’abstraction avec lequel on considère le concept de traitement de l’information. Dans le détail concret de ses mécanismes, il est probable que le cerveau et l’ordinateur ne traitent pas l’information de la même manière, mais dans un sens plus général c’est ce qu’ils font tous les deux, soutiennent plusieurs auteurs. Et comme y fait allusion Kernion dans sa parenthèse à la fin de l’extrait, certains argements centraux du texte de Epstein, comme celui démontrant que les êtres humains ne stockent pas de l’information dans leur mémoire pour aller ensuite la récupérer telle quelle comme le font les ordinateurs sur leur disque dur ou leur mémoire vive, sont devenus des évidences. Car nos souvenirs sont encodés de façon distribuée dans de vastes réseaux de neurones aux connexions renforcées. Et lorsqu’on se remémore quelque chose, on réactive ces réseaux qui sont par définition modifiables, et qui se sont donc forcément modifiés entretemps. Par conséquent, un souvenir humain ne peut qu’être une reconstruction car en réactivant les réseaux neuronaux responsables d’un souvenir, on réactive en même temps toutes sortes de choses, y compris les affects du moment qui vont donner une coloration particulière à ce souvenir.
Mais ça, ce sont des différences évidentes entre le cerveau et l’ordinateur, ces choses faciles à expliquer que je cherchais pour ne pas avoir à écrire un billet trop long… Le noeud du débat qui m’a happé comme un véritable trou noir (fallait pas que je commence à lire les commentaires, fascinants pour la plupart, sous chacun des articles!) réside beaucoup plus dans la question de savoir quels types de computation accomplissent les ordinateurs et en quoi diffèrent-ils de ceux que peuvent accomplir notre cerveau. Et là je dois dire que j’ai assez vite atteint les limites de mes propres capacités computationnelles !
Et même la façon dont Epstein présente l’alternative à cette conception pour lui trop computationnelle, l’approche générale de la cognition incarnée, est accusée d’être décrite de façon imprécise par certains de ses détracteurs qui affirment également que les conclusions qu’il en tire, en particulier avec le « outfielder problem » que nous avons présenté ici il y a trois semaines, sont aussi erronées (il serait faux de dire, par exemple, que l’heuristique incarnée employée par le joueur de baseball n’implique aucune computation, du moins dans le sens définit par les gens qui travaillent dans le domaine).
Voilà donc pourquoi « ceci n’est pas un billet de blogue », mais une justification de l’absence probable de billet la semaine prochaine, puisque je devrai rattraper le temps perdu aujourd’hui (mais ô combien instructif) pour présenter certaines de ces idées pas trop confusément le 1er juin !
Baccalauréat international en Sciences cognitives (Collège de Valleyfield)
The empty brain (your brain is not a computer )
Does the idea that your brain is an organ responding to stimuli change your sense of self?
Robert Epstein’s empty essay
Yes, Your Brain Certainly Is a Computer
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