lundi, 4 janvier 2016
Enseigner la biologie avec les concepts d’hier ou d’aujourd’hui ?
Le début d’une nouvelle année, c’est aussi pour bien des étudiant.es et des professeur.es le début prochain d’une nouvelle session. Et pour moi, qui entretient une relation j’allais dire de parasitisme (!), mais disons de symbiose avec eux, le retour prochain des présentations sur le cerveau dans les cégeps et à l’Université du troisième âge (UTA). Mais aussi surtout, en ce qui concerne la réflexion d’aujourd’hui, des « Écoles de profs », ces « mises à jour » des connaissances en neurosciences cognitives que j’offre aux enseignant.es.
Car se tenir au courant des avancées que ce soit en biologie ou dans toute discipline scientifique est, pour employer l’expression consacrée, un défi de tous les instants. Les données s’accumulent à un rythme si rapide que ceux et celles qui sont chargés de transmettre les conceptions de base en biologie le font parfois en se référant à des idées datant de quelques décennies, voire de plusieurs siècles ! Des idées qui sont donc complètement dépassés ou démenties par la science actuelle.
C’est en tout cas ce qui ressort des travaux de Catherine Simard et de ses collègues dans leur article « Épistémologie de la biologie et conceptualisation du vivant chez des futurs enseignants et biologistes » présenté lors du colloque « La « vie » et le « vivant » : de nouveaux défis à relever dans l’éducation » tenu les 26 et 27 mai dernier à Rimouski, au Québec.
Simard et de ses collègues se sont demandés « si l’histoire des connaissances sur le vivant, c’est-à-dire l’épistémologie de la biologie, a marqué notre conceptualisation du vivant au point d’y retrouver, encore aujourd’hui, des conceptions du vivant datant d’Aristote, de Galien ou de Linné, lesquelles pouvant être considérées comme désuètes. Et si oui, dans quelle mesure ? »
Autrement dit, que reste-t-il aujourd’hui de concepts comme l’animisme, le vitalisme, le finalisme, le fixisme ou le déterminisme qui ont fait avancer la réflexion en leur temps mais qui s’avèrent aujourd’hui problématiques ou carrément erronés. Tous ces mots en « isme » renvoient à des idées sur le vivant dont il faudrait, pour leur rendre justice, au moins quelques pages chacun pour les remettre dans le contexte historique qui les a vu naître. Je vous renvoie ici à l’article de Simard qui en donne un aperçu et les références appropriées (voir le 2e lien ci-dessous).
Ce qui est toutefois fondamental à noter, et qui ressort assez clairement de leur étude, c’est que ces concepts biologiques désuets sont beaucoup plus présents qu’on pourrait le croire dans l’univers mental des jeunes adultes étudiant pour devenir professeurs. Et qu’ils représentent donc des obstacles pouvant interférer à divers degrés dans la transmission d’une vision des êtres vivants en adéquation avec les savoirs scientifiques actuels.
Dans l’étude de Simard, deux conceptions erronées semblent encore particulièrement présentes dans l’esprit des futurs professeurs. Il s’agit d’abord du finalisme, cette idée que les structures ou organes des êtres vivants que l’on observe aujourd’hui sont ainsi faits pour remplir une certaine fonction. En d’autres termes, on attribue une forme d’intentionnalité à l’évolution du vivant, ce qui peut alors entraver sérieusement la compréhension même des concepts à la base de l’évolution dont l’adaptation, la sélection naturelle, les mutations et la notion de hasard.
Or le finalisme semble accepté à 90 % selon les critères de l’étude de Simard. Ce qui n’est pas si surprenant considérant les travaux en psychologie cognitive qui relève une prédisposition de l’humain à réfléchir le monde sous une forme d’intentionnalité, de finalité. Et Simard rappelle ces erreurs classiques : « Les oiseaux ont des ailes parce qu’ils doivent voler » (alors que le vol est une adaptation accidentelle au fait que l’air peut avoir une certaine portance) ou « Les plantes libèrent de l’oxygène, car les animaux en ont besoin pour survivre » (alors que c’est plutôt les animaux qui se sont adapté à ce sous-produit, au départ toxique pour eux, du métabolisme des plantes).
Autre erreur notable signalée par l’étude : un répondant universitaire sur deux adhère à l’idée qu’un principe abstrait s’ajoute à la matière pour créer le vivant, influencé encore en cela par l’animisme d’un Aristote ou le vitalisme d’un Bichat. Alors que l’on sait aujourd’hui qu’il n’y a rien de tel et que la vie est une propriété qui émerge d’un certain niveau d’organisation de la matière et d’une certaine complexité des réseaux métaboliques (au sein de structures autopoïétiques, me permettrais-je même d’ajouter pour avoir l’air savant…).
Une telle préconception métaphysique ne peut donc encore une fois que faire obstacle à un enseignement actualisé de ce qu’est le vivant et de ce qui le distingue de la matière inerte.
L’étude note toutefois que cette idée d’un principe vital pour donner la vie à la matière inerte, est rejetée par 80 % des répondants ayant une culture scientifique plus approfondie en biologie. Et c’est sans doute là que réside l’espoir car d’autres études citées dans l’article ont aussi démontré que la confrontation aux savoirs actuels non seulement en biologie mais aussi en chimie et en physique (sur lesquelles repose la biologie) permet d’atténuer ces conceptions vitalistes, finalistes ou même fixistes (cette conception prisée par les créationnistes qui sous-entend que les espèces vivantes n’évoluent pas).
Enfin, dernier exemple dont j’avais parlé dans une présentation intitulée « Pourquoi pas la neurobio pour enfants ? », celui du concept de plasticité cérébrale qui, lorsqu’enseigné en bas âge, permet d’atténuer la pensée fausse que ce qu’on appelle l’intelligence serait quelque chose de fixe et de déterminé pour un individu donné. Les erreurs ne sont plus alors vues comme un constat d’échec ou d’intelligence limitée, mais comme une occasion d’apprentissage, de dépassement et d’amélioration.
Tout cela pour dire que c’est de ces choses-là (et de bien d’autres) que j’aime parler dans mes « Écoles de profs ». C’est pour ça que je passe pas mal de temps à parler d’évolution avant de commencer à distinguer ce qui relève de l’ancienne ou de la nouvelle « grammaire neuronale ». Et aussi pourquoi je consacre une séance complète au rapport du corps avec son environnement, incluant des notions d’épigénétique allant à l’encontre du paradigme du « tout génétique » malheureusement encore trop dominant.
Bref, si c’est le genre de discussion qui vous intéresse, n’hésitez pas à me contacter. C’est mon pain et mon beurre, mais aussi toujours un grand plaisir et un enrichissement constant pour moi de discuter de ces choses avec des gens qui se heurtent aux mêmes problèmes que moi par rapport à ce « nettoyage » nécessaire des scories des conceptions du passé quand on enseigne quelque science que ce soit.
La « vie » et le « vivant » : de nouveaux défis à relever dans l’éducation
Épistémologie de la biologie et conceptualisation du vivant chez des futurs enseignants et biologistes
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