lundi, 14 décembre 2015
Chaque semaine pendant un an et demi, il prend en photo… son cerveau !
On voit souvent passer sur les medias sociaux des articles sur une personne qui s’est prise en photo à intervalle régulier pendant de longues périodes. Eh bien le concept vient d’être poussé encore un peu plus loin avec ce psychologue de l’université de Stanford, Russell Poldrack, qui a scanné son cerveau deux fois par semaine pendant un an et demi !
Et il ne l’a pas fait simplement pour mettre ses scans sur Facebook, mais bien pour publier les résultats de cette première étude du genre dans la revue Nature Communications du 9 décembre dernier. Une première dans le sens où l’on n’avait jamais cherché à comprendre comment la connectivité cérébrale pouvait varier chez un sujet normal sur une période de plusieurs mois, période où l’on observe souvent des fluctuations importantes des fonctions psychologiques chez les personnes atteintes de troubles psychiatriques. Un peu étonnant tout de même qu’on ne disposait pas encore de telles données. Mais quel sujet normal aurait le goût d’aller se mettre deux fois par semaine dans un scan pendant un an et demi (dont un à jeun le matin) en plus des prises de sang tous les mardis et d’un rapport quotidien de ses activités, comme l’a fait Poldrack ? Bref, ça prenait un scientifique vraiment motivé à faire « avancer la science »…
Le projet s’appelle donc MyConnectome et va générer des tonnes de données qui seront analysées plus tard. Car grâce aux prises de sang hebdomadaire, on va être en mesure de mettre en relation la connectivité cérébrale et l’état physiologique de l’ensemble du corps de Poldrack. Des corrélations pourront alors être faites entre l’activité du cerveau et le niveau d’expression de certains gènes (grâce au dosage des ARN messagers de ses globules blancs qui reflètent le niveau d’activité des gènes). Et grâce aux rapports quotidiens de ce qu’il a mangé ou fait comme exercice la journée de tel ou tel scan, on va être en mesure de mettre comportements, alimentation, expression génétique et activité cérébrale en relation. Pas une mince tâche, cependant…
Mais déjà certains liens sont assez évidents. Au niveau du corps d’abord, avec par exemple une forte corrélation entre les poussées de psoriasis de Poldrack (une maladie auto-immune de la peau d’origine génétique pouvant être déclenchée par des facteurs environnementaux) et l’expression de gènes reliés à l’inflammation et à la réponse immunitaire.
D’autres corrélations ont pu être observées entre l’état du corps et du cerveau, sans toutefois qu’une explication puisse être pour l’instant avancée. L’une des plus évidentes, et assez surprenante par son importance, découle du fait d’avoir déjeuné ou pas avant le scan matinal. Car Russell Poldrack faisait ses scans du mardi à jeun et ses scans du jeudi après un bon déjeuner qui, dans son cas, s’accompagnait aussi d’un café. Or on connaît bien les effets psychostimulants de la caféine sur le cerveau, mais on ne savait pas à quel point la caféine pouvait influencer rapidement la connectivité fonctionnelle du cerveau, c’est-à-dire quelles voies nerveuses empruntent effectivement l’influx nerveux sur l’ensemble des routes possibles (ce qu’on appelle aussi le connectome anatomique). Le postulat ici étant que les régions cérébrales qui « se parlent » préférentiellement forment ainsi différentes réseaux cérébraux qui sont autant de sous-ensemble des associations possibles offertes par le connectome anatomique. Ce serait aussi, autre métaphore, les routes les plus utilisées pour aller de Montréal à Québec (la 20, la 40…) versus toutes les autres routes existantes possibles (par les petits chemins de campagne).
Or les matins où le cerveau de Poldrack baignait dans la caféine, la connectivité de son cerveau était assez différente de celle où il n’avait rien pris en se levant. En particulier, les connexions entre le « réseau somatosensoriel – moteur » et les systèmes responsables de l’analyse détaillée des stimuli visuels étaient plus intimes sans caféine. Une observation étonnante non seulement par l’importance de l’effet mesuré, mais par les régions affectées, relativement de « bas niveau » (par opposition au cortex plus associatif responsable de fonctions cognitives dites de « haut niveau »). Pour l’instant, on ne se risque pas trop à interpréter ces observations, bien que Poldrack fait remarquer que la fatigue qu’il éprouvait les matins sans caféine pourrait peut-être amener son cerveau à allouer plus de ressources à des mécanismes de base comme l’intégration visuelle et sensorimotrice.
On a donc ici un projet qui met de l’avant deux approches de plus en plus dominantes en sciences cognitives, celle du connectome et celle des « big data » (cette dernière étant aussi le propre de bien d’autres sciences avec les capacités de stockage informatique sans cesse croissantes). Un projet fort éducatif puisqu’il met en lumière les limites actuelles de ces deux approches.
D’une part on sait que le connectome total et définitif d’un cerveau est impossible dû à la plasticité intrinsèque de ses synapses. Autrement dit, les petites routes se redessinent à chaque instant et l’on ne peut donc espérer que la carte des routes principales pour un individu donné. Par ailleurs le projet MyConnectome est intéressant car il permet de « vivre avec » cette limitation en se concentrant surtout sur la connectivité fonctionnelle moyenne d’un individu sur d’assez longues périodes (car bien sûr ces réseaux sont dynamiques et son font et défont continuellement…).
Quant aux big data, le problème est toujours le même, celui du classement et de l’analyse de ces sommes astronomiques d’information. C’est pour faciliter ce travail que Poldrack et son équipe ont décidé de rendre accessible toutes leurs données gratuitement sur le site web du projet Myconnectome.
Stanford psychologist’s 18-month study of his own brain reveals new relations between brain and body
MyConnectome – About the project
Long-term neural and physiological phenotyping of a single human
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