lundi, 5 octobre 2015
Si les neurones ne peuvent pas se diviser, comment se fait-il qu’on puisse avoir des cancers du cerveau ?
Mercredi dernier, à l’Université du troisième âge à Valleyfield, je donnais le cours sur la théorie du neurone et tout ce qu’on a découvert depuis les dernières décennies sur les interactions complexes entre les neurones et les cellules gliales de notre cerveau. C’est le cours le où l’on descend le plus bas au niveau moléculaire (jusqu’aux sous-unités du récepteur NMDA, par exemple, dont on sait maintenant qu’elles peuvent se combiner de différentes manières pour modifier la perméabilité du canal…). Ma hantise étant que les gens pensent que finalement « c’est pas si compliqué que ça le cerveau », je me dis toujours lorsque j’ai un public captif pour 8 cours, que mieux vaut leur faire goûter dès le départ à l’incroyable complexité du cerveau, quitte à les perdre un peu. Quand nous abordons plus tard son fonctionnement global en termes de réseaux dynamiques qui oscillent de façon plus ou moins synchronisée (ce qui n’est pas non plus si simple), on est alors plus en mesure de goûter à ce délicieux vertige qui vient en pensant que chacune des 85 milliards de cellules nerveuses et gliales qui produisent ces effets globaux est en soi un monde méconnu d’une complexité à couper le souffle.
Pas étonnant alors que d’excellentes questions surgissent alors dans les cerveaux en face de moi et que je sois bien souvent incapable d’y répondre. Ce fut le cas mercredi dernier avec cette question : si les neurones ne peuvent pas se diviser, comment se fait-il qu’on puisse avoir des cancers du cerveau ? Effectivement, de prime abord, ça semble poser problème…
Je viens donc de faire une recherches rapide là-dessus et vous propose quelques éléments de réponse qui, vous allez le voir, débouchent comme souvent en science sur encore plus de questions.
Rappelons d’abord l’importance des cellules gliales tant au niveau anatomique (environ le même nombre que les neurones, i.e. près de 85 milliards) que fonctionnel (on ne cesse de leur trouver des caractéristiques communes avec les neurones, et leur rôle dans la modulation de l’activité de ceux-ci est maintenant bien établi). Rappelons surtout que les cellules gliales, contrairement aux neurones, peuvent se diviser par mitose tout au long de la vie.
Il est vrai que la majorité des neurones ne le peuvent pas. Le corollaire de ceci étant qu’une personne de 80 ans a des neurones qui ont aussi 80 ans d’existence (alors que les autres cellules de notre corps se renouvellent à différents rythmes). Mais l’on sait aussi qu’il y a quelques endroits dans le cerveau où des cellules souches se différencient en neurones durant toute la vie adulte. C’est le phénomène de neurogenèse, présent dans l’hippocampe, par exemple.
Que sait-on maintenant de l’origine des tumeurs cérébrales ? D’abord qu’elles peuvent se former à partir soit d’une cellule du cerveau lui-même ou d’une cellule métastasique exportée d’un cancer situé dans une autre partie du corps. Quand les cancers naissent dans le cerveau, ce sont le plus souvent des cellules gliales qui sont à leur origine. On appelle donc ces tumeurs « gliomes » et elles représentent 50 % à 60 % de toutes les tumeurs cérébrales (malignes et bénignes) détectées chez les enfants et les adultes). Le glioblastome en est la forme la plus commune et il faut le traiter immédiatement car il s’étend rapidement. Son incidence est environ de 5 cas pour 100 000 habitants. Le pic de fréquence se situe entre 50 et 60 ans. Ces tumeurs sont la troisième cause de mortalité chez le jeune adulte. Etc, etc, etc…
Là on entre dans le « merveilleux monde » de l’oncologie, de toutes les connaissances de ce vaste domaine de recherche, et surtout de toutes les questions que l’on s’y pose encore.
Mais revenons à notre question de départ que j’ai retrouvée pratiquement telle quelle sur un forum de discussion de médecins, preuve qu’elle est fort pertinente. Ce que j’ai trouvé particulièrement intéressant dans cet échange, c’est d’abord qu’on semble y confirmer la prédominance des cancers métastasiques et d’origine non neuronale (incluant cellules gliales, des méninges, des vaisseaux sanguins ou de l’hypophyse, qui sont toutes des cellules qui se divisent) mais que l’on n’exclut pas les origines neuronales dans de rares cas se développant à partir de cellules souches encore capables de se diviser avant ou peu après la naissance.
Mais d’autres commentaires rappellent que le matériel génétique du neurone a potentiellement tout ce qu’il lui faut pour se diviser (il a tout le génome humain comme toute cellule de notre corps), mais que les gènes qui coordonnent la division sont simplement inactifs en temps normal. D’où peut-être une réactivation possible par des agents mutagènes, ce qui pourrait causer des tumeurs. Et finalement, la discussion se complique et s’enflamme quelque peu sur la nécessité de la division cellulaire pour qu’il y ait possibilité de cancer, certain insistant plutôt sur dans failles dans les mécanismes de réparation cellulaire après détection d’une mutation cancérigène, alors que d’autres remettent carrément en question l’origine génétique de la majorité des cancers !
Rendu là, quand on arrive à de tels débats fondamentaux, je considère que ma job de vulgarisateur scientifique s’arrête ici, ayant montré l’essentiel, c’est-à-dire bien souvent qu’il n’y a pas de réponses simples aux questions les plus simples en biologie !
Et juste pour contenter les plus curieux en terminant, je vous mets un article publié en octobre 2012 qui montre comment des tumeurs cancéreuses peuvent se développer non seulement à partir de cellules souches neuronales mais également à partir de véritables neurones quand des gènes causant le cancer sont introduits expérimentalement dans ceux-ci avec un virus (phénomène qui pourrait peut-être se produire naturellement). Et c’est en retournant alors à l’état de cellules souches que les neurones se mettraient à se diviser de façon incontrôlée, autrement dit à devenir une tumeur cancéreuse…
Tumeur du cerveau
Brain tumor
If cancer occurs only in dividing cells, how can the brain develop cancer eventhough all brain cells are differentiated and don’t divide?
New study finds brain tumors can arise from neurons
Le corps en mouvement | Comments Closed