lundi, 29 septembre 2014
Qu’est-ce qui détermine « ce qui nous trotte dans la tête » ?
Je vous ai déjà parlé ici du blogue de Deric Bownds, ce neuroscientifique qui a fait d’importantes contributions sur la transduction du signal visuel en influx nerveux dans les cellules photosensibles de notre rétine. Sur une base quotidienne, Bownds résume brièvement une étude récente en neurosciences cognitives en la mettant en perspective avec les débats qui ont cours dans ce vaste domaine de recherche. Ce n’est pas pour rien que son blogue fait partie des quatre dont les titres des derniers billets sont automatiquement affichés dans la marge de gauche de notre blogue !
Deric Bownds a récemment été invité à donner une conférence dans le cadre des séminaires sur le chaos et la complexité de l’University de Wisconsin-Madison. Intitulée « Upstairs/Downstairs in our brains – What’s running our show? », la présentation retranscrite en entier dans le lien ci-bas traite de cette distinctions de plus en plus utilisées dans l’étude du cerveau, celle du contrôle de bas en haut versus de haut en bas (« bottom up » versus « top down », en anglais). D’autres métaphores évoquant des processus opposés sont aussi alternativement utilisées dans la littérature, comme le célèbre système 1 (rapide et inconscient) et système 2 (plus lent et conscient) des philosophes, le « Upstairs/Downstairs » du titre de sa conférence, ou encore l’opposition entre le réseau attentionnel (en bleu sur l’image ci-haut) et le réseau du mode par défaut (en orange sur l’image ci-haut).
Bownds rapporte ainsi de nombreux résultats expérimentaux convergeant vers une idée au fond assez simple : nous nous trouvons, nous, les êtres humains, souvent dans deux grands états mentaux qui s’opposent et sont, d’une certaine façon, mutuellement exclusifs. Soit nous sommes envahis par les innombrables stimuli de notre environnement (et ils sont fort nombreux à l’heure des téléphones intelligents et des réseaux sociaux) et notre réseau du mode par défaut nous repasse ensuite des extraits de ce film de notre vie personnelle et sociale quand il est moins sollicité. Ou soit, par l’entremise fréquente de régions frontales de notre cortex, nous concentrons notre attention sur une tâche cognitive pour la résoudre.
Chacun de ces deux grands modes ont sans doute chacun une utilité puisqu’ils se sont établis au fil de l’évolution de notre espèce. Mais les avantages que l’on peut assez clairement pressentir pour chacun se doublent d’un côté sombre quand chacun de ces modes se retrouve suractivé. Trop de contrôle empêche la spontanéité, la créativité, et l’on devient « control freak ». À l’opposé, si le réseau par défaut est propice à l’incubation créative des idées, la consolidation et la récupération de souvenirs personnels ou simplement la planification de sa journée, il existe un grand nombre d’études démontrant que c’est dans ce mode par défaut que l’on peut se perdre dans des ruminations d’idées noires de toutes sortes, ce qui bien souvent prédispose à l’anxiété, aux déficits d’attention ou la dépression.
Bref, dans la vie de tous les jours, il semble que nous soyons enclins soit à réagir un peu passivement à notre environnement en orientant notre discours intérieur vers ce qu’il nous suggère. Ou soit nous nous « regardons aller » un peu, et décidons (plus ou moins consciemment, ça on pourrait en discuter…) de porter notre attention sur ce que nous jugeons plus significatif pour nous. Et ce que Bownds montre en l’appuyant de plusieurs exemples dans la littérature c’est que certaines pratiques comme les thérapies cognitives ou la méditation peuvent infléchir la balance entre les deux modes vers une plus grande prise en charge par le mode attentionnel. Autrement dit, nous fournir les outils mentaux d’une certaine « autodéfense » (pour employer un terme à la mode…) face à la jungle médiatique et publicitaire qui nous assaille quotidiennement.
Je terminerai, une fois n’est pas coutume, en citant un très bel extrait de la conclusion de la conférence de Bownds, comme il le fait lui-même dans chacun de ses billets. C’est en anglais, je sais, mais même si j’avais tenté de le traduire, je n’aurais pas été capable d’en rendre la subtilité (à part peut-être le « coulda, shoulda, woulda » que le « j’aurais dû ben dû donc dû… » de la chanson de Richard Desjardins rend à mon avis à merveille !).
“I would submit that those mind therapies, meditations, or exercises that are the most effective in generating new more functional behaviors are those that come close to resolving what we could call the category error (in the spirit of the philosophical term) in considering mind and brain. And, that error is to confuse a product with its source, the source being the fundamental impersonal downstairs machinery that generates the varieties of functional or dysfunctional selves that are its product, that we mistakenly imagine ourselves to be.
Mental exercises like meditation permit the intuition of, perhaps come closest to, that more refined metacognitive underlying generative space that permits viewing of, and choice between, more or less functional self options.
A less wordy, maybe more useful, way of putting this is to say that third person introspection, viewing yourself as if looking at another actor, and placing this a historical story line, is more useful than immersed rumination (coulda, shoulda, woulda). It is the difference between residing mainly in the attentional versus default modes of cognition.”
Upstairs/Downstairs in our Brain – What’s running our show?
Non classé | Comments Closed