lundi, 14 avril 2014
À la recherche de la trace du temps perdu dans nos synapses
«Parlez-moi de moi, il n’y a que cela qui m’intéresse», disait le chanteur Guy Béart dans l’une de ses chansons. C’est au fond ce que l’on fait quand on essaie d’expliquer aux gens comment fonctionne leur cerveau, et en particulier leur mémoire épisodique. C’est en effet cette mémoire autobiographique qui nous permet de dire « moi » ou « je » (parce qu’on nous a dit « tu », ajouterais Albert Jacquart…). Partons donc cette semaine d’une expérience personnelle, puisque le sujet nous le suggère.
Récemment, une amie de longue date me parle d’une personne qu’elle fréquentait il y a une vingtaine d’années. Sur le coup, je n’ai absolument aucun souvenir de cette personne, à laquelle je n’ai pas repensé depuis nos lointaines années de colocation. Mais quelques heures plus tard, je la revois soudain, et plus j’y pense, plus je me souviens de détails sur son aspect physique, vestimentaire, etc. Où étaient enfouis tous ces détails dans ma mémoire pendant toutes ces années ? Question pour le moins troublante…
Bien sûr, on connaît plusieurs mécanismes moléculaires comme la potentialisation à long terme ou la dépression à long terme par lesquels on commence à comprendre comment les connexions entre nos neurones, nos fameuses synapses, peuvent augmenter ou diminuer leur efficacité selon l’usage que l’on en fait. D’où la création de véritables assemblées de neurones capables par la suite d’avoir une activité nerveuse coordonnée pouvant correspondre à tel ou tel souvenir.
Mais l’on sait également que les molécules modifiées par ces mécanismes, par exemple un récepteur canal qui devient ainsi plus perméable à certains ions, finissent par se dégrader et par être remplacées. Comment peut-on alors garder une trace matérielle stable de nos vieux souvenirs dans un tel environnent moléculaire en perpétuel renouvellement ?
Différentes recherches récentes pointent vers des éléments de réponse. Il faut d’abord rappeler que les changements synaptiques à long terme dans nos réseaux de neurones sont souvent associés à des modifications anatomiques permanentes dans les dendrites des neurones impliqués. Les épines dendritiques peuvent carrément grossir ou même se diviser en deux épines distinctes lors qu’il y a beaucoup de « trafic » entre deux neurones.
Ces changements structurels, donc susceptibles de durer plus longtemps, Andrew M. Hamilton et ses collègues de l’université de California Davis montrent qu’ils dépendent entre autres de l’activité de certaines enzymes, les protéasomes. Ces enzymes ont de multiples fonctions mais peuvent voir leur activité fluctuer selon celle des influx nerveux d’un circuit neuronal. De plus, ces changements d’activité enzymatique peuvent être observés dans les seules régions dendritiques recevant l’influx nerveux. Donc de bons candidats pour agir comme médiateur entre la sollicitation répétée d’une synapse et sa croissance structurelle.
De son côté, l’équipe de Michael Kiebler de l’université Ludwig-Maximilians, à Munich en Allemagne, s’intéresse aux « granules d’ARN neuronal » qui contiennent, sous la forme d’ARN messagers, les plans permettant la synthèse de protéines qui vont reconfigurer la synapse suite à un apprentissage. Selon le modèle développé par ces scientifiques, ces granules migreraient dans les dendrites et ne relâcheraient leur précieux ARN messager qu’aux endroits activés de façon répétée par l’influx nerveux. Encore une fois, on a ici un mécanisme qui permettrait d’opérer des changements synaptiques durables, mais uniquement aux connexions impliqués dans tel ou tel souvenir.
Enfin, la piste de la protéine Orb2 déjà présentée dans ce blogue vient d’être étayée par une étude publiée en février dernier. Erica White-Grindley et ses collègues du Stowers Institute for Medical Research, aux États-Unis, y démontrent que cette protéine se présente sous deux formes (A et B) et que c’est le passage à la forme B qui est déterminant pour la mémoire à long terme. Cette forme a en effet des propriétés attribuées aux prions, une forme de protéine qui, une fois formée, tend à s’auto-entretenir.
Une propriété encore une fois fort intéressante pour le maintien d’un souvenir, comme celui du visage d’un type auquel on n’a pas pensé depuis deux décennies…
Breaking It Down: The Ubiquitin Proteasome System in Neuronal Morphogenesis
Activity-Dependent Growth of New Dendritic Spines Is Regulated by the Proteasome
The logistics of learning
What makes memories last? Prion-like proteins help create long-term memories
Contribution of Orb2A Stability in Regulated Amyloid-Like Oligomerization of Drosophila Orb2
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