lundi, 25 novembre 2013
Le neurobiologiste qui a découvert qu’il était psychopathe
Je vous avais déjà résumé les grandes lignes du dernier cours de Parlons cerveau IV intitulé « Neuroscience et libre arbitre » qui aura lieu ce mercredi 27 novembre (voir le premier lien ci-bas). En cherchant un article récent pour illustrer ce propos, je tombe sur cette histoire digne d’un titre de livre d’Oliver Sacks. Celle d’un chercheur en neuroscience qui découvre, en analysant les résultats d’une de ses expériences en imagerie cérébrale, que son cerveau a toutes les caractéristiques classiques de celui d’un… psychopathe !
L’histoire remonte à 2005 alors que James Fallon analysait les PET scans de milliers de sujets pour en distinguer des patterns d’activité typique de schizophrènes, dépressifs, psychopathes et personnes souffrant d’Alzheimer. Plusieurs personnes de sa famille, y compris lui-même, avaient participé à cette dernière étude. C’est sur l’une de ces images de cerveau d’un membre de sa famille que Fallon s’arrête, pétrifié. Les lobes temporaux et surtout frontaux impliqués dans le contrôle de soi et les comportements moraux montrent en effet une baisse d’activité typique du cerveau d’une personne ayant une difficulté majeure d’empathie pour autrui, fort probablement un psychopathe.
Or cette personne faisant peut-être partie de sa famille puisque identifiée comme provenant de l’étude sur l’Alzheimer, Fallon a voulu en avoir le cœur net et a brisé le code de la procédure en double-aveugle pour découvrir avec stupeur que le cerveau en question était le sien. Le sien, c’est-à-dire celui d’un homme heureux marié et père de famille n’ayant jamais tué personne. De quoi douter des critères utilisés sur les images de PET scans pour associer des cerveaux à des pathologies particulières. Sauf que…
Sauf que lorsqu’il reçut les résultats de tests génétiques entrepris pour clarifier tout ça, Fallon dû se rendre à l’évidence : il avait tous les allèles associés à un haut risque d’agression, de violence et de peu d’empathie ! Il avait donc tous les déterminismes génétiques pour devenir un psychopathe, mais n’en était pas devenu un. Et c’est là que cette histoire devient intéressante en ce qui concerne la question du libre arbitre.
Car Fallon s’identifie maintenant à ce qu’on appelle un psychopathe pro-social, c’est-à-dire quelqu’un qui a de la difficulté à ressentir de l’empathie pour les autres mais réussit à avoir des comportements socialement acceptables. Fallon rapporte par exemple qu’il a tendance à être très compétitif, à manipuler les autres et même à être agressif. Mais cette pulsion agressive, il la sublime dans les débats verbaux où il assène des arguments plutôt que des coups.
La compréhension de la personnalité de Fallon devient encore plus fascinante quand on ajoute deux autres chapitres à cette l’histoire. Le premier appuie le lourd héritage génétique dont Fallon semble avoir hérité : sa lignée familiale comprend plusieurs présumés assassins, incluant Lizzie Borden, accusée d’avoir tué son père et sa belle-mère en 1892.
Le second offre sans doute la meilleure piste pour comprendre le caractère malgré tout pro-social de l’individu : Fallon fut un enfant aimé qui reçut beaucoup d’attention de ses parents, entre autres parce que sa mère avait fait plusieurs fausses couches avant de lui donner naissance. Des données récentes appuient en tout cas cette hypothèse en montrant que la variante particulière d’un gène codant pour une protéine transporteur de la sérotonine, associée à l’origine directement à la psychopathie, rend en fait le développement du cortex préfrontal ventromédian particulièrement sensible aux influences précoces, positives (comme pour Fallon) ou négatives (qui mènent vers l’activité réduite de cette région chez les psychopathes).
Facteurs génétiques et influences marquantes du hasard de notre environnement familial, cela ressemble à ce que les tenants d’un déterminisme radical mettent de l’avant pour expliquer le peu de place qu’ils accordent au libre arbitre. Mais il y a peut-être une troisième voie, outre une réhabilitation sociale du libre arbitre à la Gazzaniga par exemple. Une conquête de certains degrés de liberté que semble expérimenter Fallon lorsqu’il explique que depuis qu’il sait tout ça sur lui-même, il parvient, avec un effort conscient, à considérer davantage ce que les autres ressentent et à agir en conséquence pour éviter de les heurter.
Mais il ajoute qu’il ne se sent pas pour autant devenu un ange intérieurement. La fierté de pouvoir prouver à lui-même et aux autres qu’il peut se soustraire à ses déterminismes y est pour beaucoup. Pas très différent, au fond, du besoin viscéral qu’ont les humains dits « normaux » de se prouver (ou se faire accroire ?) qu’ils sont des êtres libres…
Parlons cerveau IV
The Neuroscientist Who Discovered He Was a Psychopath
A Neuroscientist Uncovers A Dark Secret
Le corps en mouvement | 2 commentaires »
Il semble que la sortie du livre de James Fallon ait amené plusieurs critiques de la part de nombeux scientifiques, particulièrement du domaine de l’imagerie cérébrale, qui remette en question le postulat de base de cette histoire à savoir que l’on peut diagnistiquer une personne psychopathe en regardant son cerveau avec un PET scan. Voir par exemple :
The neuroscientist who was a psychopath? Or just narcissistic?
http://storify.com/neuroconscience/the-neuroscientist-who-was-a-psychopath-or-just-na
Intéressantes nuances et mises en garde ici aussi :
Could a brain scan diagnose you as a psychopath?
http://www.theguardian.com/science/2013/nov/25/could-a-brain-scan-diagnose-you-as-a-psychopath
Extrait :
« One of the most obvious mistakes in Fallon’s reasoning is called the fallacy of reverse inference. His argument goes like this: areas of the brain called the ventromedial prefrontal cortex and orbitofrontal cortex are important for empathy and moral reasoning. At the same time, empathy and moral reasoning are lost or impaired in many psychopaths. So, people who show reduced activity in these regions must be psychopaths.
The flaw with this argument – as Fallon himself must know – is that there is no one-to-one mapping between activity in a given brain region and complex abilities such as empathy. There is no empathy region and there is no psychopath switch. If you think of the brain as a toolkit, these parts of the brain aren’t like hammers or screwdrivers that perform only one task. They’re more like Swiss army knives that have evolved to support a range of different abilities. And just as a Swiss army knife isn’t only a bottle opener, the ventromedial prefrontal cortex isn’t only associated with empathy and moral judgements. It is also involved in decision-making, sensitivity to reward, memory, and predicting the future.
If your friend walked into the room and took out an (unopened) Swiss army knife, could you tell how she was planning to use it? By the same token, changes in brain activity, on their own, tell us very little about cognitive abilities. »