lundi, 19 septembre 2011
Se souvenir de chaque jour de sa vie
Grâce à notre mémoire épisodique, on peut aisément se rappeler ce qu’on a mangé la veille ou ce qu’on a fait le week-end dernier. Si l’on remonte à quelques semaines, quelques mois ou à plus forte raison à quelques années, nos souvenirs autobiographiques sont pour la plupart oubliés, à part peut-être certains événements émotionnellement marquants. Notre mémoire sémantique, celle qui retient les régularités du monde, aura tôt fait de prendre la relève pour nous permettre de généraliser et de développer des concepts abstraits, et c’est très bien ainsi.
Mais une vingtaine de personnes connues à ce jour ont une mémoire épisodique exceptionnellement supérieure qui leur donne accès à ce qu’elles ont fait un jour précis de leur vie, mais il y a 10, 20, voir même 30 ans après ! Ces personnes vivant avec ce que l’on nomme désormais le « syndrome hyperthymésique », peuvent ainsi se rappeler de ce qu’elles ont fait virtuellement chaque jour de leur vie. Il faut le voir pour le croire, comme dans le reportage vidéo ci-bas de l’émission 60 minutes, « The Gift of Endless Memory », où les réponses des sujets hyperthymésiques pouvaient être vérifiées et démontraient un taux de véracité avoisinant les 100%.
Le premier cas documenté d’hyperthymésie, le cas A.J., remonte à peine à 2006. Comme tous les autres découverts par la suite, A.J. n’est pas autiste et n’a pas les capacités de calcul de certains autistes qui peuvent dire quel jour tombait le 7 février il y a 100 ans, par exemple. Elle n’est pas non plus comme le célèbre patient du neurologue Alexandre Luria qui pouvait retenir sans effort une quantité apparemment illimitée d’information. Au contraire, et c’est d’ailleurs ce qui rend les hyperthymésiques si fascinants, ce sont des gens tout à fait « normaux » en ce qui concerne le reste de leur vie.
Enfin, presque… puisque les hyperthymésiques, outre le fait qu’ils passent beaucoup de temps à penser à leurs souvenirs autobiographiques et à les organiser, semblent avoir des prédispositions à la compulsion. Sans souffrir du trouble obsessionnel-compulsif (TOC), ils sont extrêmement sensibles à l’ordre, à la vérification, à la propreté, etc., toutes ces choses qui sont exacerbées chez les personnes souffrant du TOC.
Les résultats préliminaires des études d’imagerie cérébrale avec quelques cas d’hyperthymésie vont d’ailleurs en ce sens, montrant des lobes temporaux plus gros, mais surtout des noyaux caudés plus volumineux, une structure impliquée dans les habitudes motrices et… le TOC !
Voilà donc la seule piste dont on dispose présentement pour comprendre cet étrange phénomène qui soulève bien des questions sur le fonctionnement de notre mémoire et sur ses potentialités. En particulier pourquoi l’évolution n’a pas fait de cette variante du cerveau humain la forme par défaut ? Et si une forme d’oubli nous est utile, quels sont les désavantages d’avoir un cerveau hyperthymésique ? Chose certaine, les recherches se poursuivent activement car l’intérêt scientifique est grand, de même que celui de ces gens qui veulent simplement comprendre pourquoi ils sont si différents.
The Gift of Endless Memory
Hyperthymesia
Forgetfulness is key to a healthy mind
A Case of Unusual Autobiographical Remembering
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