lundi, 10 janvier 2011
L’effet phi n’est pas l’effet bêta !
La science n’est pas épargnée par des erreurs historiques qui peuvent avoir des répercussions pendant des décennies. C’est le cas de l’effet phi qui a longtemps été confondu avec l’effet bêta jusqu’à ce que Robert M. Steinman et ses collaborateurs ne publient leur clarification en 2000.
La première description de l’effet phi se retrouve dans « Experimental Studies on the Seeing of Motion », un livre publié en 1912 par l’un des pères de la psychologie de la forme (Gestalt), Max Wertheimer. Le problème c’est que Wertheimer ne décrit pas de façon précise les conditions d’apparition de cet effet phi dans son livre. Il dit que le phénomène apparaît lors de la projection successive très rapprochée dans le temps de deux lignes sur un écran. Cela donne alors l’impression, dans certaines conditions d’observation qui demeurent imprécises, qu’une zone floue de la couleur du fond bouge entre les deux lignes.
Ce « mouvement apparent pur », Wertheimer le distingue dans son livre d’un autre type de mouvement apparent appelé bêta. L’illusion de mouvement bêta est elle aussi causée par la présentation successive d’images fixes, mais à un rythme plus lent, comme celui des images fixes d’un film ou d’un vidéo qui nous donnent l’impression d’un mouvement continu.
Or justement, la plupart des manuels et des sites web de cinéma ou de psychologie (dont celui-ci jusqu’à ce jour…) renvoient encore à l’effet phi et non à l’effet bêta pour expliquer le mouvement apparent au cinéma. Dans son article, Steinman pointe une source d’erreur qui pourrait être à l’origine de cette confusion.
Il s’agit d’un autre livre publié en 1942 par E.G. Boring, « Sensation and Perception in the History of Experimental Psychology ». Ses descriptions des observations de Wertheimer sur l’effet phi et bêta sont correctes, mais Boring se trompe en affirmant que l’effet phi peut être observé avec un rythme de succession plutôt lent des images, alors que c’est en réalité avec un rythme très élevé, proche de la simultanéité, que l’on peut l’observer. Comme l’ouvrage de Boring a eu une grande influence par la suite, Steinman pense que c’est cette étrange erreur, ainsi que la description originale pas complètement claire, qui aurait fait prendre à des générations l’effet bêta pour l’effet phi.
Pour l’anecdote, c’est en cherchant à reproduire l’effet phi devant ses étudiants pour les convaincre de son originalité que Steinman s’est rendu compte de l’erreur de Boring. Et c’est en préparant une conférence sur la vision pour des étudiants que je suis tombé sur l’article de Steinman. Comme quoi l’enseignement peut parfois débusquer les erreurs du passé, pas seulement les reproduire…
Phi is not beta, and why Wertheimer’s discovery launched the Gestalt revolution
Magni-phi and related phenomena
Phi phenomenon
Beta movement
Les détecteurs sensoriels | Comments Closed