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mardi, 26 février 2019
L’histoire d’amour de Marian Diamond avec le cerveau et sa plasticité

Plusieurs personnes m’ont signalé le passage récent d’un documentaire sur le cerveau sur les ondes de Radio-Canada. Mais contrairement à d’autres signalements semblables que l’on me fait parfois, les gens semblaient avoir été beaucoup touchés par celui-ci. Et avec raison, car « Mon histoire d’amour avec le cerveau » raconte l’histoire d’une pionnière remarquable des neurosciences modernes, Marian Diamond, décédée en juillet 2017 à l’âge de 90 ans. Je ne saurais donc trop vous recommander l’écoute de la version originale intitulée « My Love Affair with the Brain : The Life and Science of Dr. Marian Diamond » ou de sa version française qui se retrouve sur le site tout.tv ou sur Youtube.

C’est que plusieurs éléments concourent à faire de la vie de Marian Diamond une histoire formidable. Première femme à graduer dans le département d’anatomie à l’université de Berkeley au début des années 1950, elle allait, une dizaine d’années plus tard, être à l’origine d’une véritable révolution scientifique dans le domaine encore jeune des neurosciences. À l’époque, on ne croyait pas que le cerveau pouvait changer significativement durant la vie. Il y avait un consensus dans la communauté scientifique à l’effet que ce n’était que nos gènes qui déterminaient la structure de notre cerveau. Or Marian Diamond va montrer le contraire. Elle va élever des rats dans un environnement enrichi, c’est-à-dire dans de grandes cages avec beaucoup de congénères et d’objets à explorer et va comparer leur cerveau à celui d’autres rats élevés dans un environnement appauvri (seuls dans une petite cage sans objets). En observant au microscope des tranches de leur cortex respectifs, Diamond a pu noter des différences significatives, en particulier chez les jeunes rats élevés dans un environnement enrichi : leur cortex était 6% plus épais !

Elle a par la suite pu répliquer son expérience avec des animaux de différents âges et confirmer d’autres différences, notamment dans le nombre de cellules gliales qui était plus grands chez les animaux ayant vécu dans des environnements enrichis. Elle venait de découvrir ce qu’on appelle aujourd’hui la neuroplasticité, le fait que notre cerveau se modifie constamment durant toute notre vie, et que ces modifications dépendent en grande partie de l’environnement dans lequel on évolue. En gros, plus cet environnement est riche, plus le cerveau l’est aussi ainsi que ses capacités d’apprentissage et d’adaptation. Et l’inverse est aussi vrai, malheureusement. D’innombrables études et travaux sont venus confirmer ce phénomène au fil des ans et ont été rendus accessibles au grand public, notamment dans les livres de Norman Doidge.

Il faut entendre Marian Diamond raconter la résistance de la communauté scientifique de l’époque, composé de pas loin de 99% d’hommes, lorsqu’elle a présenté son célèbre article de 1964. Un homme se serait ainsi levé pour affirmer haut et fort : “Young lady, that brain cannot change!”. Ce à quoi Diamond aurait simplement répondu : ‘I’m sorry, sir, but we have the initial experiment and the replication experiment that shows it can.’”

En 1973 elle confirmait à un niveau plus microscopique encore l’importance de la neuroplasticité en publiant l’article « Effects of differential experience on dendritic spine counts in rat cerebral cortex. » où elle et son équipe montraient que la plus grande densité des épines sur les dendrites des neurones des rats ayant grandi dans des environnements enrichi, une preuve directe de changements structuraux favorables dans le cerveau.

L’intérêt de Diamond pour les cellules gliales à une époque où l’on ne les considérait guère que comme des cellules de soutien aux neurones en dit également long sur la justesse de ses intuitions. Ces cellules, mieux connues depuis les années 1980 grâce à l’avènement de techniques ayant permis de comprendre leur mode de communication complexe impliquant l’ion calcium, font maintenant l’objet de champs de recherche et de revues spécialisées en neuroscience.

C’est d’ailleurs une plus grande présence de ces cellules gliales découvertes par Diamond dans certaines régions du cerveau d’Einstein qui a aussi grandement contribué à rendre Diamond célèbre auprès du grand public. Je n’essaierai pas de raconter ici toute la saga incroyable de l’histoire du médecin qui avait fait l’autopsie d’Albert Einstein et avait gardé son cerveau chez lui pendant des années, mais toujours est-il que Diamond a eu accès à des échantillons de quatre régions du cortex d’Einstein pour en arriver à ses conclusions. Conclusions qui ont donné lieu à une certaine controverse, notamment au niveau de la méthodologie employée par Diamond (âge des sujets contrôles différents de celui d’Einstein, entre autres).

N’empêche, Marian Diamond a tenté durant toute sa vie de tirer les conclusions qui s’imposent à propos de la neuroplasticité, allant jusqu’à créer un orphelinat pour au Cambodge permettant à des enfants pauvres d’accéder à un environnement plus stimulant. Elle aura aussi été un professeur grandement apprécié pendant des décennies, son cours de biologie intégrative filmé et mis sur Youtube ayant été le cours collégial le deuxième plus populaire au monde en 2010. Ajoutez à tout ça qu’elle se promenait souvent avec une boîte à chapeau de laquelle elle sortait devant des étudiant.es ébahi.es un véritable cerveau humain, et vous avez tous les ingrédients pour forger une légende, ce qu’elle était déjà d’ailleurs de son vivant comme le montre si bien le documentaire.

Au coeur de la mémoire | Comments Closed


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