lundi, 24 novembre 2014
Éloge de la suite : un site web sur l’œuvre d’Henri Laborit
« Tant qu’on n’aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent et tant que l’on n’aura pas dit que jusqu’ici que cela a toujours été pour dominer l’autre, il y a peu de chance qu’il y ait quoi que ce soit qui change. » – Henri Laborit (dernière phrase du film Mon oncle d’Amérique)
Tel qu’annoncé à la fin du billet de la semaine dernière, j’ai lancé vendredi dernier le site web Éloge de la suite au www.elogedelasuite.net sur l’œuvre d’Henri Laborit qui aurait eu 100 ans ce 21 novembre 2014. Pourquoi avoir construit un tel site qui tente de fédérer tant les productions écrites qu’audio-visuelles autour de Laborit ?
La réponse courte, comme je l’écris sur le site, est assez personnelle : parce que j’en devais une à Laborit… Dans le sens où la lecture de ses bouquins m’a aidé à comprendre bien des choses et à être mieux dans ma peau au début de la vingtaine quand je l’ai découvert par hasard.
Une réponse un peu plus élaborée mais non moins personnelle impliquerait de préciser aussi que c’est un peu à cause de lui que j’ai orienté mes études alors en cours en biologie plus spécifiquement vers celle du système nerveux. L’idée que la compréhension de ce que Laborit appelait à l’époque la « biologie des comportements » (et qu’on appelle aujourd’hui les sciences cognitives) pouvait, en remontant des neurotransmetteurs jusqu’à la psychologie d’un individu, aider à comprendre ce qui motive ses comportements en situation sociale, m’avait ouvert à de nouveaux horizons.
Et je ne vous cacherai pas que les différents niveaux d’organisation qui structurent toute la navigation du Cerveau à tous les niveaux viennent directement de cet aspect du vivant mis de l’avant par Laborit, lui-même grandement influencé pour cela par la cybernétique du milieu du XXe siècle. Cette idée d’intégration des différents niveaux d’organisation du système nerveux est aujourd’hui au cœur des sciences cognitives, ce qui était loin d’être le cas quand Laborit insistait sur ces régulations par niveaux dans les années 1960 ou même 1970 (même chose pour l’importance des cellules gliales entrevue par Laborit dès cette époque et qui se voit de plus en plus confirmée).
C’est pourquoi j’avais tout naturellement dédicacé le Cerveau à tous les niveaux à Laborit lors de la création du site en 2002. Je ne me doutais pas que plusieurs années plus tard, voyant cette dédicace, plusieurs personnes ayant côtoyé Laborit étaient pour m’envoyer des messages courriels me racontant moult anecdotes significatives sur leur relation avec ce biologiste iconoclaste.
Il m’est alors apparu, au fil de ces correspondances, que ce précurseur des sciences cognitives moderne (qui a payé cher son approche multidisciplinaire à une époque où l’on ne jurait encore que par le spécialiste) n’avait pas sa porte d’entrée digne de ce nom dans ce XXIe siècle. Un XXIe siècle qui, me semble-t-il, aurait aussi tout intérêt à entendre la critique laboritienne du productivisme à tous crins de cette société marchande, génératrice de burn out et d’épuisement professionnel comme jamais (voir le second lien ci-bas). Comprendre, par exemple, que se retrouver en inhibition de l’action de manière chronique quand on ne peut ni fuir (son emploi) ni lutter (contre son patron), comme Laborit l’a montré à la suite des travaux de Hans Selye sur le stress, est à peu près la pire chose qui peut arriver à l’équilibre biologique d’un individu. Car comme le disait Laborit, bon nombre des maladies dites « de civilisation » (ulcères d’estomac, hypertension artérielle, etc.) sont générées ainsi par le stress chronique, entre autres suite à l’effondrement du système immunitaire comme le montre aujourd’hui la neuro-psycho-immunologie, autre champ d’étude où Laborit a été un précurseur.
J’ai donc chaussé mes bottes d’historien amateur, bottes qui m’ont amené à monter des cours à l’UPop Montréal sur Laborit (qui m’ont forcé à revisiter ses biographies et tous les documents accumulés sur lui depuis deux décennies) et à aller aux Archives Laborit à Paris à deux reprises, en 2009 et en 2012, où j’ai pu découvrir, tel un enfant dans un magasin de bonbons, ses notes de laboratoire, sa correspondance privée, sa bibliothèque personnelle…
Et puis ce tournage, le même été 2012, auprès de tous ces gens qui m’avaient écrit sur le site et invité à aller les voir en France (un projet de film également présenté sur le site Éloge de la suite).
C’est donc pour faire bénéficier le plus grand nombre de cette recherche sur un scientifique créatif hors norme que j’ai créé le site Éloge de la suite lancé vendredi dernier. Comme je le précise sur le site, beaucoup d’autres matériaux viendront s’ajouter dans les prochains mois, c’est-à-dire durant l’année 2015 qui marquera également le vingtième anniversaire du décès de Laborit en 1995. Mais il y a déjà suffisamment de matériel pour qui voudrait se plonger durant plusieurs soirées dans cette vie témoin des grandes avancées du XXe siècle dans la compréhension de ce qu’est un être humain.
Éloge de la suite
Epuisement professionnel : pourquoi notre cerveau ne peut plus suivre le rythme
Du simple au complexe | 2 commentaires »
Bonjour,
votre site est très intéressant. Et ce que dit Henri Laborit est effectivement fondamental.
Je voulais juste vous dire aussi que son livre c’est l’éloge de la fuite et non de la suite.
Merci
Cordialement
Merci de votre commentaire. « Éloge de la suite » est un jeu de mot à partir de son livre Éloge de la fuite, pour mettre l’emphase sur la répercussion de ses travaux et de sa pensée aujourd’hui…