lundi, 22 avril 2013
François Jacob et le bricolage de l’évolution
François Jacob, biologiste, résistant durant la deuxième Guerre mondiale et Prix Nobel de médecine en 1965 (avec André Lwoff et Jacques Monod) est décédé le 19 avril dernier à l’âge de 92 ans.
C’est un géant de la génétique du XXe siècle qui s’éteint ainsi, après avoir déchiffré avec ses collègues le premier mécanisme de régulation des gènes (en l’occurrence l’opéron lactose de la bactérie Escherichia coli). Il a ainsi ouvert la voie à tout le génie génétique et au séquençage du génome humain achevé en 2003.
La proposition, faite par Jacob et ses collègues, qu’il existe deux classes de gènes, des gènes structuraux et des gènes régulateurs, va en effet permettre de comprendre comment se fait la transcription des gènes, ce qui l’induit et ce qui l’arrête. Et à la fin des années 1970 apparaissait déjà, grâce à cette compréhension, les premiers outils du génie génétique permettant de séquencer et de recombiner à volonté l’ADN des organismes vivants. « De bricoler en laboratoire, comme un vulgaire moteur de 2 CV, la molécule même de l’hérédité », comme le résumait François Jacob.
C’est également une citation de Jacob qui avait inspiré le titre de l’un des 12 grands thèmes du Cerveau à tous les niveaux, celui sur « Le bricolage de l’évolution » : « L’évolution ne tire pas ses nouveautés du néant. Elle travaille sur ce qui existe déjà. […] La sélection naturelle opère à la manière non d’un ingénieur, mais d’un bricoleur; un bricoleur qui ne sait pas encore ce qu’il va produire, mais récupère tout ce qui lui tombe sous la main. » (Le Jeu des possibles, 1981)
Cette métaphore de l’évolution comme un bricolage permet de mieux comprendre l’étrange intrication des différentes structures cérébrales générée par notre longue histoire évolutive. Elle a été maintes fois reprise depuis, par exemple dans le livre de Gary Marcus : Kluge: The Haphazard Construction of the Human Mind. On pourrait traduire un « kluge » par une solution rapide, pas très élégante et non optimale à un problème donné. Et c’est, bien souvent, ce genre de solution qui a construit le cerveau humain à partir de ce qui était disponible parmi les structures cérébrales héritées de ses ancêtres.
D’où la pensée humaine telle qu’on la connaît, souple et merveilleusement adaptée à notre vie sociale, mais avec aussi tous ces biais cognitifs particuliers qui nous caractérisent. Comme le fait d’avoir plus peur de prendre l’avion que de rouler en auto alors que statistiquement il y a beaucoup plus de probabilité de mourir d’un accident d’auto que d’un accident d’avion. Mais ce genre d’erreur n’est pas si désespérant puisque, pour le dire comme Marcus, « les façons que nous avons d’être stupides peuvent nous aider à révéler comment fonctionne le cerveau ». Autrement dit, à décortique le bric-à-brac de son bricolage.
Dans une discussion télévisée avec l’ethnologue Claude Lévi-Strauss (voir le 2e vidéo du premier lien ci-bas), François Jacob disait que les biologistes comme lui pouvaient être intimidés quand ils arrivent aux deux frontières qui délimitent leur discipline : la frontière inférieure de la physique, ou les physiciens en savent plus qu’eux sur le comportement des particules élémentaires; et la frontière supérieures, où les sciences humaines regorgent de connaissances sur la dynamique des groupes sociaux que le biologiste ne possèdent pas nécessairement non plus.
Garder à l’esprit que nous sommes issus d’un bricolage, comme nous l’ont fait comprendre des Jacob ou des Marcus, permet aujourd’hui de traverser plus aisément ces frontières et de faire des hypothèses fructueuses sur les prédispositions de l’esprit humain.
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Pour savoir comment se déroule la campagne de financement populaire du Cerveau à tous les niveaux, voir notre mise à jour ci-contre sous le thermomètre.
EXCLUSIF. François Jacob est mort
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La régulation de l’opéron lactose
Kluge: The Haphazard Construction of the Human Mind
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