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lundi, 16 septembre 2019
Notre cerveau n’a pas évolué pour gérer autant de sollicitations électroniques

Pendant l’immense majorité de notre longue histoire évolutive nous avons vécu dans le calme des milieux naturels bercés par le vent, probablement semblables à la savane afraicaine d’aujourd’hui (voir l’image au bas de ce billet). De temps en temps, un craquement de branche inhabituel ou un mouvement dans les herbes au loin attirait notre attention. Avec raison : ce pouvait être soit notre repas du soir qui passait, ou soit une bête pour qui l’on était son repas du soir ! Il fallait donc tenir compte immédiatement de cette sollicitation inattendue. Ceux qui ne l’ont pas fait n’ont pas vécu longtemps et n’ont pas laissé de descendants avec leurs gènes un peu trop relax….

Par conséquent, nous sommes tous et toutes aujourd’hui les descendants des individus les plus sensibles à ces sollicitations soudaines du monde extérieur. Notre cerveau est « câblé » pour s’en préoccuper. Sauf que le monde dans lequel on vit, avec l’arrivée d’Internet, des courriels et des médias sociaux depuis une décennie ou deux est complètement différent de celui qui a façonné le cerveau que l’on a toujours entre les deux oreilles. D’où les problèmes de contrôle de notre attention dont nous allons parler un peu plus bas. Mais avant, je vais essayer de vous faire sentir cette longue échelle de temps où s’est déroulé le façonnage de notre cerveau avec une petite comparaison. L’ironie de la chose étant ici que si ces longues durées nous sont si difficiles à appréhender, c’est justement parce que l’évolution a ajusté notre cerveau pour qu’il soit à l’aise avec la temporalité d’une vie humaine, soit quelques décennies, et pas des millions d’années.

Pour vous donner une idée de ces temps immensément long, on peut donc tenter de les ramener à une autre échelle plus compréhensible pour nous, en faisant équivaloir par exemple un millénaire à une seconde. Les premiers vertébrés (des poissons primitifs) seraient alors apparus il y a un peu plus de 5 jours. Les premiers primates il y a près de 21h, notre genre Homo il y a environ 41 minutes 40 secondes, notre espèce Homo sapiens il y a environ 3 minutes et 20 secondes. Et ce qu’on appelle l’Histoire qui débute avec les traces écrites de nos cultures humaines ne durerait que 5-6 secondes… sur nos 5 jours !

Toujours sur cette même échelle comparative, les 3 derniers siècles de la révolution industrielle ne représentent que 0,3 secondes. Et l’avènement des réseaux sociaux sur Internet ? Un centième de seconde… toujours sur 5 jours ! Et après ça on se demande pourquoi cette vieille machine ayant évolué dans le calme des savanes se trouve surexcitée quand elle reçoit un « Like » ou un texto à toutes les dix secondes…

Sans parler de la dépendance que l’on développe face à ce flot ininterrompu de récompenses instantanées. Car depuis des dizaines de millions d’années, un comportement qui procure une récompense porte l’organisme qui vient de le faire à répéter ce comportement. Les psychologues appellent ça du conditionnement opérant et c’est donc un mécanisme très ancien phylogénétiquement. Et en général, plus un mécanisme est ancien, plus il est puissant. Avoir la possibilité avec un simple mouvement du doigt (« pull-to-refresh », en anglais) de rafraîchir le contenu de notre écran pour voir si on a reçu d’autres nouveaux statuts Facebook, « Likes » ou autres notifications a donc un potentiel addictif terrible pour notre cerveau. Cerveau qui est calibré pour être renforcé quand une fois ou deux dans la journée on remarque tel feuillage de plante qui nous permet d’aller cueillir ses petits fruits…

C’est avec tout ça en tête qu’on peut apprécier le combat que décrit Deric Bownds avec lui-même par rapport aux incessantes sollicitations numériques qui le détournent d’activités plus productives. Comme peut-être le billet de blogue où il en parle, ou celui-ci que je suis en train d’écrire. Bownds mentionne le concept de « continuous partial attention » qui est justement cet état où l’on pense à tout moment à ces sollicitations électroniques de toutes sortes qu’on pourrait manquer. Chaque coup d’œil qu’on leur porte nous fait alors perdre non seulement le temps qu’on a mis pour les regarder, mais également les quelques secondes où l’on devra se demander où l’on en était lorsqu’on reviendra à notre tâche principale. Et avec les téléphones portables, il y a en plus ce sentiment de toujours devoir être disponible en tout temps et en tout lieu pour répondre à ces sollicitations, créant ce sentiment diffus de ne plus nous appartenir, de ne jamais pouvoir être concentré à 100% sur quelque chose, ne serait-ce que sur la beauté des arbres du parc dans lequel on marche.

Ce sentiment d’être entièrement disponible pour pour une tâche, pour ce qui se passe autour de soi ou dans nos pensées est quelque chose qui fait le plus grand bien à quiconque le redécouvre. Il est probablementaussi responsable en partie du bien-être ressenti en vacances lorsqu’on adopte une rytme de vie plus lent, souvent plus connecté avec la nautre (vous vous souvenez, cet état déjà oublié où vous vous trouviez encore il y a quelques semaines ? 😉 ). Ou celui qu’avait expérimenté ces neuroscientifiques qui s’étaient « fait violence » et étaient partis une semaine faire du rafting sans cellulaire ni ordinateur pour voir quel effet ça leur faisait au niveau de leur vie mentale. Et ô surprise, ils se sont vite sentis plus contemplatifs et capables de maintenir et d’explorer une idée plus longtemps mentalement que lorsqu’ils répondent à 100 courriels par jour…

Alors si vous voulez diminuer ce sentiment d’impuissance acquise (« learned helplessness ») par rapport à ces sollicitations numériques « supranormales » pour notre vieux cerveau des savanes, essayez de temps en temps de vous rendre non rejoignable pour quelque temps. Ça peut paraître un peu trivial, mais ça peut être tout un défi pour certaines personnes. Si c’est votre cas, dites-vous que ce n’est pas de votre faute mais celle des millions d’années qui vous ont façonné votre cerveau. Pour retrouver une certaine harmonie avec le désign original de votre cerveau, si l’on puis dire, allez-y progressivement au début, ne serait-ce qu’un petit 15 minutes coupé de toute sollicitation électronique pour commencer s’il le faut. Et puis augmentez progressivement la durée, comme dans toute bonne thérapie d’un sevrage quelconque. Car c’est bien ce dont il s’agit ici. D’un phénomène qui se termine toujours, en bout de ligne, par la gestion de nos vieilles voies cérébrales noradrénergiques ou dopaminergiques !

Au coeur de la mémoire | Comments Closed


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