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lundi, 19 septembre 2016
« La cognition incarnée », séance 3 : Le cerveau humain : développement, communication et intégration neuronale, organisation générale

Comme à chaque lundi de cet automne, voici un bref aperçu de la prochaine séance du cours sur la « cognition incarnée » que je donnerai mercredi prochain à 18h au local A-1745 du pavillon Hubert-Aquin de l’UQAM.

Et comme indiqué dans le plan de cours, après avoir fait un survol historique des grands paradigmes en sciences cognitives et remonté aux origines des êtres vivants et de la cognition la semaine dernière, on va tenter cette semaine une présentation générale du cerveau humain. [toutes les présentations Power Point en pdf des séances précédentes sont disponibles ici]

Autrement dit, comment se fabrique l’objet le plus complexe de l’univers connu dont nous avons tous et toutes, je me plais à le rappeler, un exemplaire unique entre les deux oreilles ! Il sera donc question de développement, de communication et intégration neuronale, et d’une vue d’ensemble de son organisation générale, particulièrement celle de son cortex (qui représente environ 80% du poids du cerveau humain).

Replaçons-nous dans une perspective évolutive (c’est toujours fort éclairant). Nous avons, nous les humains, un ancêtre commun avec les grands singes actuels qui vivait il y a 6 à 7 millions d’années. Nous ne descendons donc évidemment pas des chimpanzés ou des gorilles actuels qui sont plutôt nos lointains cousins. Des cousins avec qui nous partageons plus de 98% de notre matériel génétique malgré nos différences comportementales évidentes.

Car d’une part, si l’on compare les chimpanzés et les bonobos, les deux espèces les plus proches de nous qui avaient un ancêtre commun il y a environ 1 à 2 millions d’années, on peut observer des différences notables dans leurs comportements. L’organisation sociale des chimpanzés est patriarcale, dominé par un mâle alpha, ils sont agressifs, politiques, etc. Chez les bonobos, c’est plutôt les femelles qui sont dominantes, il n’y a pas de guerres entre les groupes et les interactions sexuelles sont fréquentes.

Mais ces différences sont bien peu de chose si on les compare à ce qui s’est passé durant les 2-3 derniers millions d’années d’hominisation. La lignée humaine a d’abord « inventé » le langage, puis est passée de chasseurs-cueilleurs à agriculteurs, à travailleurs d’usine et finalement à travailleur autonome précaire un monde numérique de plus en plus virtuel ! On n’arrête pas le progrès, comme dirait l’autre… Cela fait beaucoup de changements durant sensiblement la même période où les chimpanzés et les bonobos se sont certes distingués, mais ont continué tous deux à vivre dans la forêt et de se réfugier dans les arbres en cas de danger.

Que s’est-il donc passé avec le cerveau humain durant ces derniers millions d’années pour justifier un tel écart ? En gros, il a triplé de volume par rapport à nos cousins chimpanzés et bonobos. Plusieurs hypothèses pouvant avoir agi de concert sont encore débattues pour expliquer l’origine de cette expansion cérébrale spectaculaire : la fabrication d’outils (car elle nécessite précision motrice, mémoire et planification); la chasse (suivre et prédire le parcours du gibier est facilité par la mémoire fournie par un gros cerveau); les règles sociales complexes (un plus gros cerveau aide à assimiler des conduites sociales complexes); le langage (plusieurs pensent qu’il s’agit d’une adaptation survenue très tôt chez les hominidés).

Cette augmentation de la taille du cerveau humain, due principalement à l’expansion de sa surface corticale, amène évidemment plus de neurones et donc des capacités computationnelles (et donc cognitives) plus grandes. Nous reviendrons dans un moment sur le type de cortex particulier qui a bénéficié de cette expansion, mais d’abord un petit détour par le développement du cerveau au début de la vie d’un individu.

Comparé au chimpanzé, c’est surtout après la naissance que le cerveau humain continue d’augmenter sa taille pour atteindre plus de 3 fois celle du chimpanzé. Cette « néoténie » du bébé humain va le rendre grandement dépendant d’influences extérieures grâce à l’importante plasticité cérébrale découlant de cette maturation lente et prolongée (cette question de la plasticité sera d’ailleurs explorée en détail la semaine prochaine).

Plusieurs considèrent que cette vulnérabilité du bébé humain durant ses premières années a pu jouer un rôle crucial dans la transition des grands singes aux humains. Le support familial qui leur est nécessaire aurait façonné profondément le mode d’organisation social particulier des humains. Comme l’écrit Bernard Chapais dans Primeval Kinship: How Pair-Bonding Gave Birth to Human Society (2008), le phénomène du lien matrimonial à long terme chez l’humain serait fondamental. Autrement dit le fait que nous nous attachons à notre partenaire sexuel et formons avec lui des liens suffisamment durables pour élever nos enfants, qui du coup reconnaissent le monsieur vivant avec leur mère comme étant… leur père ! Ce phénomène, impossible chez les chimpanzés, aurait facilité certaines alliances entre les groupes humains qui seraient aujourd’hui à la base de nos sociétés complexes.

Mais revenons à l’expansion corticale en suivant cette fois Randy Buckner et Fenna Krienen qui, dans un article de 2013 intitulé « The evolution of distributed association networks in the human brain », attiraient l’attention sur le passage d’une organisation des circuits cérébraux à prédominance sensori-motrice chez les mammifères plus primitifs vers une organisation impliquant de plus en plus de cortex dit « associatif » chez l’humain. Cette expansion « disproportionnée » du cortex associatif humain proviendrait du détachement de larges portions de ce cortex à partir des hiérarchies sensorimotrices primaires.

Sans entrer dans les détails des mécanismes possibles de ce détachement (comme nous le ferons durant le cours de mercredi), disons simplement que des mutations auraient permis la duplication de régions cérébrales qui n’auraient plus été en contact direct avec le monde extérieur comme les aires sensorimotrices. Par conséquent, elles se seraient davantage câblées entre elles, favorisant ainsi les réseaux cérébraux largement distribués dans les parties associatives des lobes frontaux, pariétaux et temporaux.

Qu’ont pu apporter à notre espèce ces vastes régions corticales associatives ? Beaucoup de choses. D’abord un plus grand spectre d’intégration d’information sensorielle et la génération de patterns moteurs plus complexes. Ensuite, elles ont pu amener un plus grand contrôle dit « top down », c’est-à-dire qui favorise certaines délibérations plus complexes quand on ne trouve pas automatiquement une réponse comportementale familière. Enfin, ces réseaux installés en quelque sorte « en parallèle » sur les boucles sensorimotrices permettraient de traiter de l’information de manière « détachée » de celle-ci, correspondrait à des « processus mentaux internes » où l’humain est particulièrement performant, comme se souvenir, imaginer le futur, porter des jugements sociaux, et toute autre activité cognitive qui manipule de l’information dans la mémoire de travail.

En effet, les expériences d’imagerie cérébrale ont maintes fois mis en évidence pour des tâches de mémorisation et d’imagination du futur l’implication d’un réseau à grande échelle impliquant très largement ces zones associatives corticales, réseau maintenant connu sous l’expression
de « réseau du mode par défaut ».

Comme l’indique le titre de cette présentation, on abordera aussi cette semaine les mécanismes de base qui permettent aux neurones de communiquer rapidement entre eux. Ceci, bien entendu, va permettre une réponse motrice adéquate mais surtout rapide pour acquérir dans l’environnement les ressources nécessaires aux animaux pour maintenir leur structure. Ces ressources, la gazelle pour le guépard par exemple, passent en effet parfois très vite contrairement aux plantes qui peuvent tranquillement produire leurs constituants en utilisant directement l’énergie solaire, comme on l’a vu la semaine dernière.

Ces mécanismes, que ce soit la conduction électrochimique de l’influx nerveux ou la transmission chimique synaptique, j’en ai abondamment parlé dans les pages du premier thème du Cerveau à tous les niveaux. J’ai aussi pu faire certaines mises à jour, en particulier de dogmes qui sont tombés depuis quelques décennies, à travers diverses présentations. Je vous invite donc à explorer ces pages si le sujet vous intéresse.

Je me contenterai pour finir de dire un mot sur l’intégration neuronale, à savoir cette formidable faculté des neurones d’être capables d’intégrer des données, de prendre des décisions fondées sur ces données, et d’envoyer des signaux aux autres cellules en fonction du résultat de cette intégration. Bref de faire des calculs (des « computations », en anglais). Mais des calculs d’un type particulier qui ne sont ni digitaux comme ceux d’un ordinateur qui effectue ses opérations à partir d’états discrets d’un système binaire (des « 0 » et des « 1 »), ni analogiques comme les anciens disques de musique en vinyle où c’était les variations continues du contour des sillons qui codait l’information.

Les computations neuronales sont, de l’avis de plusieurs, d’un autre type, intégrant à la fois des aspects digitaux (le caractère tout ou rien des potentiels d’action) et des aspects analogiques (la fréquence des trains de potentiels d’action, les potentiels gradués reçus constamment sur les dendrites par d’autres neurones). C’est d’ailleurs ce qui les rend si difficiles à simuler sur des ordinateurs malgré la puissance de plus en plus grande des réseaux connexionnistes de neurones virtuels (qui n’intègrent pas encore tous les aspects de la computation neuronale).

Et en plus, comme si ce n’était déjà pas assez complexe, l’efficacité des connexions entre les neurones varie continuellement en fonction de l’expérience de l’individu. Ce sont donc ces mécanismes de plasticité synaptique (et extra-synaptiques!) qui s’ajoutent à la mécanique computationnelle de base des neurones (et qui forment le substrat de ce qu’on appelle la mémoire) que nous allons explorer la semaine prochaine.

De la pensée au langage | Comments Closed


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