lundi, 4 juillet 2016
L’été, un bon temps pour contempler la complexité du vivant
Au Canada, le mois emblématique de l’été, c’est juillet. Et au Québec où j’habite, les signes avant-coureurs en sont la fête nationale le 24 juin et, le 1er juillet, la fête… du déménagement ! 😉 Dans le milieu montréalais des sciences cognitives, la fin juin est également particulièrement intense avec l’école d’été de l’ISC de l’UQAM qui portait cette année sur le raisonnement.
Mais voilà juillet et le temps de se reposer un peu. Ou alors, si vous êtes un peu « science addict » comme moi, peut-être de lire moins d’articles scientifiques, mais de prendre le temps de les méditer un peu plus. Car pressé par la multitude de publications accessibles à l’heure d’Internet, on ne prend peut-être pas suffisamment la mesure de la formidable complexité des mécanismes biologiques qui y sont décrit. Et cela, non seulement pour ce qu’on pourrait appeler leur beauté intrinsèque, mais aussi pour la question, souvent vertigineuse, du « comment » cela peut être un produit de l’évolution biologique, de processus sélectifs adaptatifs ou de simple dérive génétique.
Prenez par exemple l’étude de Sama F. Sleiman et ses collègues publiée le mois dernier et dont le titre annonce la réflexion que j’aimerais vous proposer cette semaine : « Exercise promotes the expression of brain derived neurotrophic factor (BDNF) through the action of the ketone body β-hydroxybutyrate ». Car on pourrait, pris dans la tourmente informationnelle qui sévit à longueur d’année (sauf peut-être l’été…), se dire : ah, encore un énième article démontrant que l’exercice est non seulement bon pour le corps, mais aussi pour nos neurones. Et l’on passerait au suivant en se disant que celui-là est quand même intéressant car il expose une cascade moléculaire possible par laquelle un exercice soutenu va faciliter la survie et la croissance neuronale.
Mais quand on prend le temps d’y réfléchir un peu, dans un parc au soleil ou sur le bord de la plage par exemple, cet enchaînement de réactions biochimiques déclenché par un comportement (faire de l’exercice) et aboutissant à d’autres comportements mieux adaptés (grâce à une meilleure connectivité cérébrale) est tout ce qu’il y a de plus remarquable ! De manière très simplifiée vous avez, dans ce cas-ci, des souris qui courent beaucoup dans une journée et qui, pour pouvoir avoir l’énergie nécessaire à cet effort physique intense, en viennent à aller chercher cette énergie dans leurs lipides, générant du même coup un produit dégradation (un « déchet ») appelé cétone. Ces molécules de cétone étant suffisamment petites pour traverser la barrière hémato-encéphalique, se retrouvent dans le cerveau où l’on savait que les neurones les utilisaient comme source d’énergie quand le glucose sanguin se mettait à diminuer.
Or cette étude a permis de démontrer qu’en plus d’être le substitut énergétique que l’on sait, les cétones vont exercer une influence épigénétique sur l’expression d’un gène favorisant la croissance neuronale, celui d’une protéine appelée « brain-derived neurotrophic factor » (ou B.D.N.F.). Les cerveaux dont les neurones produisent beaucoup de cette protéine ont des neurones vigoureux formant beaucoup de synapses, et donc fonctionnant mieux. À l’opposé, de bas niveaux de B.D.N.F. sont associés à des capacités cognitives en déclin tant chez l’animal que chez l’humain.
Et ce qui est fascinant ici, c’est que les cétones produites par un exercice soutenu vont inhiber une autre molécule (dont je vous épargne le nom compliqué) qui elle empêche normalement le gène de la B.D.N.F. de produire sa protéine. Résultat : les haut taux de cétones produits par l’exercice, en enlevant ce frein par défaut à l’expression du gène de la B.D.N.F., augmente la production de cette substance que les scientifiques surnomment en anglais « Miracle-Gro » (de l’anglais « to grow », qui signifie croître).
Comme je le mentionnais en introduction, ce n’est pas uniquement l’élucidation de cette cascade biochimique fort complexe qui est fascinante, mais également (quand on prend le temps d’y penser…) comment elle a pu se mettre en place. Combien d’essais et d’erreurs de la nature, combien de tâtonnements, combien de solutions alternatives ont peut-être existé mais ne se sont pas rendus jusqu’à nous ? Et comment ce recyclage d’un « déchet » de l’effort physique est-il devenu un facteur épigénétique favorisant en bout de lignes les capacités cognitives d’un individu et lui permettant en retour d’explorer sans doute davantage son environnement pour y trouver plus de ressources et donc mieux survivre, nous ne le saurons probablement jamais…
Mais nous pouvons nous offrir ce cadeau estival qui consiste à prendre le temps de contempler et d’apprécier plus longuement ce genre de mécanisme épigénétique (ou cet autre, aussi surprenant, d’un parasite qui réduit la peur d’un prédateur par des «manipulations épigénétiques»). Un peu comme ces scientifiques qui avait « décroché » de tous leurs bidules électroniques pendant une semaine en faisant du rafting, et qui avait remarqué que leur capacité à manipuler mentalement un objet ou une question pendant un long moment était améliorée par cette expérience estivale dans la nature. Peut-être aussi faisaient-ils une peu plus d’exercice que d’habitude, ce qui ne devait pas nuire !
How Exercise May Help the Brain Grow Stronger
Exercise promotes the expression of brain derived neurotrophic factor (BDNF) through the action of the ketone body β-hydroxybutyrate
Le corps en mouvement | Comments Closed