lundi, 30 mars 2015
Quel chemin trace le désir ? La piste de l’ocytocine
Chaque année au Québec, depuis 1988, le Concours Philosopher invite les étudiant.es du niveau collégial à rédiger une dissertation philosophique de 2 000 mots sur un sujet donné (voir le 1er lien ci-bas). Pour sa 26e édition de 2015, on pose la question: « Quel chemin trace le désir? » Afin de stimuler la participation, le concours répertorie sur son site web du matériel diversifié, tant écrit, qu’audio ou vidéo en rapport avec le thème choisi.
C’est dans cet esprit que le collège de Valleyfield m’a invité la semaine dernière à aller faire une présentation sur le désir, question d’avoir un son de cloche neurobiologique sur cette question. En m’inspirant largement de la section « Désir, amour, attachement » du Cerveau à tous les niveaux, je leur ai donc concocté un petit parcours évolutif allant des premières cellules vivantes jusqu’à la formation du couple humain, à la famille, et à la vertigineuse diversité des identités et des pratiques sexuelles humaines !
Je suis loin d’être un expert en la matière, comme l’est le biologiste français Thierry Lodé qui a publié ces dernières années plusieurs ouvrages sur la question (voir les 2e et 3e liens ci-bas). Mais je partage avec lui un souci de situer les phénomènes biologiques, qui incluent les comportements humains, dans une perspective évolutive. C’est ce qui m’a amené par exemple à faire dans ma conférence la distinction entre cause proximale (par exemple, le plaisir sexuel) et distale (ou ultime) (avec le même exemple, la reproduction de l’espèce). Ou encore à montrer comment les systèmes nerveux et hormonaux, que l’on distingue aujourd’hui dans le corps humain, ont la même origine lointaine : la nécessité pour les cellules des organismes multicellulaires de se coordonner à distance en sécrétant des molécules qui sont ensuite captées par d’autres molécules (des « récepteurs ») fixées sur des cellules situées plus loin. Neurotransmetteurs et hormones sont d’ailleurs des étiquettes qu’on a maintenant tendance à regrouper sous des appellations plus larges comme «neurohormones» ou «neuromodulateurs» tant on se rend compte qu’une même substance se retrouve à la fois dans le cerveau et dans le reste du corps.
C’est ainsi que de nombreuses molécules, de la LHRH à l’angiotensine, en passant par l’insuline ou l’ocytocine, se retrouvent à la fois comme neurotransmetteur dans le cerveau et comme hormone dans le corps. Et, chose remarquable, le plus souvent impliquées dans un même type de comportement. Comme le soulignait déjà Jean-Didier Vincent dans son livre Biologie des passions (1986) : « Les substances chargées de la communication sont présentes dans l’être vivant avant même que ne soient différentiés les [grands systèmes]. Hormones et neurotransmetteurs devancent l’apparition des systèmes endocrines et nerveux. Les mêmes substances sont à la fois hormones et neurotransmetteurs selon une confusion des rôles qui nous est maintenant familière. ».
Sur l’ocytocine, justement, un article publié il y a deux semaines dans la revue PNAS montre que l’altération épigénétique du gène du récepteur à l’ocytocine augmente la perception de la colère et de la peur chez l’humain. Plus précisément, on parle d’une « méthylation » de l’ADN de ce gène, une modification chimique maintenant bien connue et responsable de ces variations d’expression génétique des gènes appelées « épigénétiques » (des varitions modulées selon certains facteurs rencontrés par un individu durant sa vie, par exemple le stress).
Dans ce cas-ci, la méthylation du gène réduit la transcription de celui-ci, ce qui amène une plus grande activité dans l’amygdale, une région du cerveau humain associée à la peur et à la colère. Autrement dit, la diminution de récepteurs à l’ocytocine dans l’amygdale rendrait celle-ci moins sensible au contrôle apaisant qu’exerce normalement sur celle-ci d’autres régions du cerveau, par exemple frontales, impliquées dans la régulation des émotions.
On voit ainsi se dessiner l’une des nombreuses voies par lesquelles une influence environnementale peut nous rendre plus réactifs à des signaux de colère ou de peur venant d’autrui. Mais comme on l’a déjà écrit sur ce blogue, avec l’ocytocine (et bien d’autres molécules suscitant un engouement), rien n’est jamais simple. Et, comme on le constate aujourd’hui avec cet article, ce n’est pas parce que ce petit peptide avait sans doute à l’origine un rôle dans l’accouchement et le lien mère-enfant, qu’il ne fut pas par la suite « recyclé » pour contribuer au lien amoureux chez l’homme et à bien d’autre choses tournant autour de la question de la confiance.
Concours Philosopher (Édition 2015)
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