lundi, 10 mars 2025
Hélène Trocme-Fabre (1931-2025) : une vie à trouver les bons mots pour parler du vivant
J’ai appris récemment avec tristesse le décès d’Hélène Trocme-Fabre (1931-2025), le 21 février dernier. Comme je l’écrivais ici en 20217, Hélène demeure pour moi l’une des premières grandes vulgarisatrices des sciences cognitives en sol français. Et pas seulement des « neurosciences mainstream », comme on pourrait les appeler (ce qui fut déjà un exploit dans les années ’70 et ’80 dans cet Hexagone très cartésien), mais surtout des sciences énactives, l’une des approches les plus florissantes des sciences cognitives du XXIe siècle. Il faut dire qu’Hélène a co-traduit en français « L’arbre de la connaissance » d’Humberto Maturana et Francisco Varela, ce qui a dû lui donner quand même une longueur d’avance sur ses contemporain.es !
Bien que nos échanges furent plus épistolaires qu’en personne puisqu’elle habitait en France et moi au Québec, je n’oublierai jamais la seule visite que je lui avais faite en 2012 lors de la préparation de mon film « Sur les traces d’Henri Laborit » (2016). J’ai gardé dans le film quelques extraits de la longue conversation filmée qu’elle m’avait alors généreusement accordée où elle y relate son parcours atypique de phonéticienne, d’angliciste, de linguiste, d’éducatrice et d’auteure (vers la 5e minute de ce 3e segment de mon film).
J’ai rarement vu une soif de savoir si belle et si vaste. Ses livres ont contribué à mon approfondissement de ce qu’est le vivant, comment il se déploie et l’importance des mots appropriés pour en parler correctement. L’influence de Varela fut décisive pour nous deux, et c’est ce qui nous avait rapproché dès ses premiers messages courriels, en 2005, à travers lesquels nous nous tenions au courant de tout ce qui nous passionnait dans le vaste monde des sciences cognitives. Je suis d’ailleurs tombé sur plusieurs de ses courriels en faisant la promo de mon livre récemment. Je suis bien content en tout cas d’y avoir cité sa si belle définition de l’apprentissage : « Apprendre, c’est accueillir le nouveau dans le déjà-là. » Toute la neurobiologie des mécanismes neuronaux de la mémoire est dans cette phrase, elle l’avait si bien pressenti.
Joëlle Aden, professeure à l’université Paris-Est Créteil, m’écrit que le dernier travail qu’ils ont fait ensemble fut la traduction collective en anglais pour une version bilingue de son livre « L’arbre du savoir-apprendre » publié en 2022. Et qu’en 2023, elle continuait à se connecter par zoom à certain cours et séminaires des étudiants à l’université Paris-Est Créteil… à plus de 90 ans!
Quelle vie bien remplie en tout cas ! De son enfance sous les bombes dont elle m’avait parlée durant le tournage, à ce travail d’accompagnement d’étutiant.es en passant par ses vidéos et nombreux livres (dont je vous parle plus bas). Je me rappelle aussi de l’anecdote qu’elle m’avait racontée quand elle avait rencontré un spécialiste du cerveau qui la considérait un peu de haut parce qu’elle n’avait pas une formation en neuroscience. Elle lui a dit quelque chose comme : « je ne suis pas neurologue, mais j’ai un cerveau, et je veux et peux comprendre ». Il aurait alors levé un sourcil et commencé à l’écouter plus sérieusement…
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J’ai écrit plusieurs billets de blogue pour mettre en valeur le travail d’Hélène Trocme-Fabre que j’aimerais ramener à votre souvenir. Vu leur nombre et l’importance de l’œuvre, je vais garder pour un second billet la semaine prochaine ceux qui parlent de ses livres et articles et vous laisser cette semaine avec celui qui présentait son travail de scénariste / recherchiste / documentariste scientifique. Une œuvre d’une grande cohérence qui se compose, comme je le titrais en 2017, de Sept films comme autant de trésors à redécouvrir.
Je vous en cite ici quelques extraits mais vous pouvez lire le billet en cliquant sur le lien précédent qui donne accès aux sept films en question, tous accessibles sur le Web !
« Je voudrais aujourd’hui vous parler d’une série de sept documentaires, une œuvre magistrale qui était encore difficilement accessible il y a quelques années, mais qu’on peut maintenant visionner sur Internet gratuitement. Il s’agit de la série « Né pour apprendre » d’Hélène Trocme-Fabre réalisée par Daniel Garabédian au début des années 1990.
[…] Pour en revenir à sa série documentaire, elle est essentielle pour qui veut comprendre la transition qui s’est opérée lentement mais sûrement à la fin du XXe siècle entre des sciences cognitives basées sur la métaphore de l’ordinateur à des sciences cognitives inspirées des principes de l’auto-organisation, de l’émergence, de l’autonomie, de l’action et du couplage avec l’environnement. On ne peut donc que remercier le Centre de ressources et d’information sur les multimédias pour l’enseignement supérieur (CERIMES) dont, selon le site web, les activités ont été transférées le 31 décembre 2014 à la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH), d’avoir rendu accessibles ces films qui sont accompagnés d’un livret pédagogique en pdf que l’on peut consulter sur la page du CERIMES de chacun des films. Ce souci d’éducation populaire est d’ailleurs constant dans la démarche d’Hélène Trocme-Fabre et mérite d’être souligné.
Que dire pour présenter un projet si ambitieux et fort réussi ? D’abord peut-être sa dédicace, qui donne le ton : « Ce film est dédié aux enfants de l’univers, c’est-à-dire… nous ! ». Ensuite peut-être la recommandation au début de chaque livret d’accompagnement, à savoir que l’ordre des sept films est celui de l’évolution et du développement de notre relation à l’environnement, et donc qu’il est conseillé de les visionner dans l’ordre. »
Ça me rappelle un conseil de lecture semblable au début d’un certain bouquin (le mien!) dont je vous rappelle tout en bas le début prochain de son « club de lecture ». Car l’histoire de la vie est une affaire bien complexe à appréhender, et quand quelqu’un comme Hélène Trocme-Fabre passe sa vie à trouver les bons mots pour rendre cette histoire cohérente, ce n’est pas une mauvaise idée de l’écouter. Et de la lire et relire, comme on le fera la semaine prochaine en évoquant ses nombreux écrits sur le vivant.
De la pensée au langage, Du simple au complexe | Pas de commentaires